Le soleil est radieux, la chaleur presque tropicale, les soirées en terrasse s'étirent comme le col de la bouteille d'un excellent Tavel rosé. Nous sommes encore en été, à un mois jour pour jour de la reprise des travaux à l'Assemblée nationale, pourtant, on sent déjà une effervescence certaine sur la scène politique québécoise.

Depuis quelques jours, le gouvernement libéral tente de démontrer qu'il a les destinées du Québec bien en main, que l'économie résiste ici mieux qu'ailleurs, que le développement du Nord est bel et bien sur les rails, que les grands travaux routiers vont bon train.

Non, Jean Charest n'est vraiment pas mort! On l'a même vu cette semaine en grande forme, reposé, plus mince et tout sourire. Évidemment, les malheurs de Pauline Marois ne sont pas étrangers à la bonne humeur du premier ministre.

Malgré tout, on sent la grogne et l'impatience de la population et Jean Charest aura fort à faire pour convaincre les Québécois qu'il a toujours les deux mains sur le volant et, surtout, qu'il sait où il va. La rencontre «historique» à Montréal sur le plan de transport, qui a accouché de... rien, n'a fait que renforcer l'impression que le Québec est au neutre et que Montréal, en particulier, s'enfonce dans un profond coma.

L'incident de l'A720 n'a (heureusement) fait aucune victime, mais la poutre de 25 tonnes tombée début août a néanmoins asséné un autre dur coup à la cote du gouvernement Charest.

Les gouvernements en fin de régime sont toujours plus vulnérables aux accidents de parcours, qui deviennent vite des symboles dans l'opinion publique. Encore faut-il que l'opposition soit capable de taper sur le clou. Pour le moment, Jean Charest profite des déchirements au PQ, de la division des forces souverainistes et du manque de cohésion à droite (centre-droit, en fait, la droite étant plutôt modérée au Québec).

Cela pourrait toutefois changer si l'ombre de François Legault se matérialisait et que sa coalition devenait, finalement, un nouveau parti politique.

Sur la scène politique québécoise, le titre de la prochaine saison politique pourrait bien être: En attendant Legault, un clin d'oeil à la célèbre pièce de Samuel Beckett, En attendant Godot.

Clin d'oeil justifié, puisque la pièce de Godot tourne autour d'un mystérieux personnage tant attendu par des gens un peu paumés. Voici un résumé, trouvé sur l'internet:

«Vladimir et Estragon se retrouvent dans un non-lieu à la tombée de la nuit pour attendre Godot. Cet homme - qui ne viendra jamais - leur a promis qu'il viendrait au rendez-vous. Sans qu'on sache précisément ce qu'il est censé leur apporter, il représente un espoir de changement. En l'attendant, les deux amis tentent de trouver des occupations, des distractions pour que le temps passe.»

Pour bien des Québécois, M. Legault représente effectivement un espoir de changement, mais plusieurs se demandent s'il se présentera un jour, avec un parti, un programme et une brochette de candidats valables.

Selon plusieurs sources, François Legault fondera bel et bien un parti avant les prochaines élections. Sa coalition s'organise d'ailleurs de plus en plus comme un parti avec, notamment, l'embauche (passée plutôt inaperçue) d'organisateurs chevronnés, dont Brigitte Legault, une jeune femme énergique et efficace repêchée chez les libéraux fédéraux. En plus des qualités reconnues de cette organisatrice, cela veut dire que M. Legault est capable de recruter chez les fédéralistes, ce qui est essentiel pour la crédibilité et la croissance de son mouvement.

Par ailleurs, les déchirements au PQ et la division de la famille souverainiste risquent d'inciter encore plus de Québécois à vouloir «essayer» autre chose, ce qui joue en faveur de François Legault. Bien des Québécois se reconnaissent dans l'approche ni-ni (ni souverainiste ni fédéraliste) de M. Legault, notamment les anciens électeurs de l'ADQ. S'il lance effectivement son parti, François Legault jouira d'un indubitable rapport de force en face de l'ADQ, qu'il pourrait avaler sans faire trop de compromis.

Le PQ est, au contraire, dans une situation précaire.

À la fin des années 60, le mouvement souverainiste a réussi, après des négociations épiques, à construire un véhicule unique, le PQ, qui allait prendre le pouvoir en 1976. Aujourd'hui, 35 ans plus tard, les souverainistes empruntent la voie inverse en se subdivisant en plusieurs factions. Avec un peu de philosophie, on peut voir dans ces débats une bonne chose pour le mouvement souverainiste, mais il n'en demeure pas moins qu'en politique, on doit additionner, pas diviser.

Devant la menace Legault, et devant la crise interne au PQ, Jean Charest pourrait-il déclencher des élections anticipées, dès cet automne?

Officiellement, il a écarté à maintes reprises cette idée, mais si François Legault tarde à s'organiser et que les divisions s'intensifient au PQ, rien n'empêcherait les libéraux de déclencher des élections tard cet automne ou tôt au printemps. Contrairement aux autres partis, ils ont le fric, l'organisation et l'avantage de l'élément-surprise.

Jean Charest est en politique depuis assez longtemps pour savoir que les électeurs ont la mémoire courte et qu'ils ne punissent pratiquement jamais un gouvernement pour avoir déclenché des élections prématurément.

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca