«C'est injuste, mais la vie n'est pas juste.»

Cette phrase peut paraître vaine, terriblement clichée même. Pourtant, le chef libéral Bob Rae a résumé le sentiment de millions de Canadiens en évoquant cette «injustice» qui a fauché Jack Layton.

Avant que le cancer ne lui tombe dessus, Jack Layton était un homme en pleine forme, vigoureux tant physiquement qu'intellectuellement, ce qui se voyait d'emblée dans son sourire et qui se sentait à chaque poignée de main. Abonné à l'exercice physique, il ne fumait pas, buvait avec modération et était visiblement doué pour le bonheur.

Injuste, en effet, cette disparition si soudaine. Non seulement parce qu'il n'avait que 61 ans et parce qu'il connaissait enfin le succès et la reconnaissance politique, mais surtout parce que, en cette époque de grande désillusion, il représentait pour tant d'électeurs ce qu'un politicien devrait être.

Avant de se lancer dans de grandes analyses politiques sur la suite des choses au NPD, il faut d'abord marquer un temps d'arrêt pour se rappeler qui était Jack Layton. Et ce qu'il a réussi.

Évidemment, on ne lance pas de pierres sur les corbillards, et il serait indélicat de critiquer Jack Layton le jour de sa mort. Mais tout ce qui a été dit de lui hier, tant par ses amis que par ses adversaires politiques, est vrai. Jack, comme tout le monde l'appelait, était intègre, sincère, généreux, respectueux, optimiste et, oui, souriant.

L'une des plus grandes réalisations de Jack Layton aura été de redonner un véritable sens au mot «espoir». Il a aussi redonné des lettres de noblesse à l'engagement public.

Ses adversaires politiques se sont moqués de son sourire lors de la dernière campagne électorale, ils ont même mis les électeurs en garde contre ce sourire. Mais, à la fin, c'est Jack Layton qui a gagné.

Faire triompher l'espoir, le sourire, l'optimisme en cette époque morose, voilà en soi tout un exploit. En ce sens, la lettre qu'il a rédigée deux jours avant de mourir représente le plus puissant antidote au désabusement ambiant. Cette missive devrait être laminée et accrochée dans les bureaux de tous les députés de la Chambre des communes.

On retiendra évidemment, dans la liste des grands exploits de Jack Layton, sa courageuse dernière campagne électorale et la récolte record de 103 députés le 2 mai. Mais il ne faudrait pas oublier qu'il a aussi réussi à faire passer le NPD de petit parti idéologique condamné à la marginalité à une formation de gauche acceptable, nécessaire même.

M. Layton a amené le NPD vers le centre tout en le positionnant, devant la droite de Stephen Harper, comme le véritable contrepoids social-démocrate, un créneau jusque-là occupé exclusivement par le Parti libéral.

Au Québec, sa lente stratégie du «respect» et du changement, à laquelle bien peu de gens croyaient, aura finalement porté ses fruits.

La montée des conservateurs, l'usure du temps sur le Bloc et la dérive des libéraux l'auront certes aidé à se faufiler jusqu'au poste de chef de l'opposition officielle, mais il a su être au bon endroit au bon moment, avec le bon discours. Bien sûr, les Québécois le trouvaient sympathique (ce qui n'est pas un défaut, soit dit en passant!), mais ils n'ont pas voté si massivement pour lui que parce qu'il avait une canne, un beau sourire et une cravate orange.

Depuis des années, il était le seul chef politique à Ottawa à réclamer, budget après budget, de l'argent pour le logement social, pour la santé, pour les chômeurs, pour les villes. Le seul aussi à exiger une hausse des impôts des grandes entreprises, à pourfendre les profits mirobolants des banques et des pétrolières. Le seul, encore, à s'opposer à tout prolongement de la mission militaire canadienne en Afghanistan. À Ottawa et sur Bay Street, on ridiculisait «Jack-in-the-Box», mais de toute évidence son message a fini par passer dans l'électorat. Il a tellement bien réussi à se positionner au centre gauche que, à la fin de la dernière campagne électorale, Stephen Harper exhortait les libéraux ontariens à ne pas voter pour ce dangereux «socialiste»!

Dans le monde très dur de la politique, on s'est souvent moqué de Jack Layton, on l'a souvent traité de naïf, parfois même de jovialiste, notamment parce qu'il prônait la collaboration. Lorsqu'il a récrit le budget libéral avec Paul Martin, en 2005, plusieurs ont là vu un geste désespéré pour éviter des élections, mais le fait est qu'il avait tout de même arraché 4 milliards de plus pour ceux qu'il appelait les «Canadiens ordinaires».

On a beaucoup dit depuis 24 heures que Jack Layton n'était pas un chef banal, qu'il pratiquait la politique de la main tendue, qu'il travaillait en équipe, qu'il respectait ses collègues. Nous en avions eu une belle démonstration lors de son dernier passage à La Presse, en avril, en pleine campagne électorale. Assis au bout de la grande table des rencontres éditoriales, M. Layton avait passé de longues minutes à écouter les réponses de son député Thomas Mulcair, lui laissant toute la place et opinant du bonnet. Je ne connais aucun chef politique qui accepterait de se retrouver dans l'ombre d'un de ses députés dans une rencontre du genre.

C'est ce que je retiendrai de «Jack»: un homme intègre, entier, gentleman, fier mais sans enflure de l'ego, et aussi agréable dans une discussion politique serrée qu'autour d'une bonne bière à parler de tout et de rien.

Oui, le cancer a gagné, hier, mais j'aimerais croire que c'est l'appel à l'espoir de Jack Layton qui triomphe aujourd'hui.