«Le danger avec les fusions, c'est qu'il y a toujours un parti qui finit par avaler l'autre. Prenez les conservateurs: où sont passés les progressistes?»

Cette phrase est de Jack Layton, avec qui j'avais évoqué le scénario d'une fusion entre son parti et le Parti libéral en octobre 2009.

Plus récemment, lors de la dernière campagne électorale, le défunt chef du NPD avait perdu son sourire proverbial lorsque j'étais revenu sur le sujet pendant une rencontre à La Presse.

«Premièrement, qui a dit que les libéraux sont de centre gauche? Qui a dit que ce sont des progressistes? Les libéraux ont coupé comme aucun autre gouvernement dans l'assurance-emploi et les programmes sociaux», avait rétorqué M.Layton.

Au cours de cette même rencontre, il s'était dit prêt à reformer un gouvernement de coalition avec les libéraux de Michael Ignatieff si les conservateurs minoritaires devaient être renversés (comme il l'avait fait avec Stéphane Dion en décembre 2008), mais pas question d'unir formellement les destinées des deux partis.

Rappelons, pour la petite histoire, que Jack Layton a déjà accusé l'ex-premier ministre Paul Martin d'être responsable de la mort de sans-abri dans les rues de Toronto, une déclaration qu'il a regrettée et pour laquelle il s'est excusé, mais qui démontre bien que les libéraux et lui n'étaient pas du même bord.

Sachant à quel point M.Layton se méfiait des libéraux, il est pour le moins ironique de constater que certains d'entre eux ont perçu dans sa lettre d'adieu et dans l'élan de sympathie populaire qui a culminé samedi à Toronto le signal d'un rapprochement et, qui sait, peut-être même d'une fusion.

Jean Chrétien croyait en ce projet bien avant les dernières élections et il n'a apparemment pas changé d'avis. Ce n'est pas un hasard si Denis Coderre, qui est toujours proche de Jean Chrétien et qui lui voue un respect sans borne, se montre lui aussi favorable à une fusion NPD-PLC.

Jean Chrétien a toujours été de l'école «la fin justifie les moyens» et la fin, pour lui, c'était de gagner, ce qu'il a fait envers et contre tous, d'abord lors de la course à la direction de 1990 et trois fois plutôt qu'une en campagne électorale, et avec des majorités. Lorsqu'on lui avait demandé en 2006 si Paul Martin avait été un bon chef, M.Chrétien avait répondu: «Un bon chef, ça gagne ses élections.»

Si M.Chrétien est favorable à une fusion, c'est qu'il croit que c'est la voie à suivre pour reprendre le pouvoir, pas parce qu'il vient d'être conquis par les principes du NDP ou par l'appel rassembleur de Jack Layton. Juste pour ça, on peut comprendre les réticences des néo-démocrates.

Jean Chrétien est un personnage politique controversé, mais cet homme avait un pif hors du commun et les libéraux auraient tort de rejeter tout débat sur une éventuelle fusion, comme l'a fait cette semaine le chef par intérim Bob Rae.

M.Rae, ancien chef et premier ministre néo-démocrate ontarien, ne veut rien savoir et parle même d'une fiction. Peut-être est-ce parce qu'il sait mieux que quiconque à quel point il serait difficile de fusionner le NPD et le PLC. Peut-être aussi parce qu'il a été contaminé par cette maladie typiquement libérale qui fait croire à ses victimes que le pouvoir revient toujours au PLC, que c'est dans l'ordre des choses, que ce n'est qu'une question de temps.

Au NPD, l'idée est aussi accueillie froidement. Un nouveau sondage Harris-Decima, quoique parfaitement circonstanciel, indique une poussée orange, ce qui confortera les néo-démocrates qui disent ne pas avoir besoin des libéraux.

Le député Pat Martin, un vétéran du caucus, vient toutefois brouiller les cartes en appuyant l'idée d'une fusion. Il promet même de se lancer lui-même dans la course à la direction du parti si aucun autre candidat n'épouse ce projet. Il faudra voir ce qu'en pensent les autres candidats, mais il est risqué de transformer une course à la direction d'un parti en référendum sur la pertinence de ce parti.

Selon Pat Martin, «le NPD peut gagner les prochaines élections seul, mais en fusionnant avec les libéraux, c'est une majorité garantie».

D'un point de vue purement arithmétique, c'est indéniable. Ensemble, le NPD et le PLC ont obtenu 49,5% des votes le 2 mai, ce qui donnerait évidemment une écrasante majorité de sièges.

Mais la politique n'est pas une science exacte et on ne peut évidemment pas conclure que tous les électeurs du NPD et du PLC voteraient automatiquement pour un parti né d'une fusion des deux. Dans les Maritimes, en Ontario et dans l'Ouest, bien des électeurs du NPD n'ont jamais fait confiance aux libéraux. De même, les libéraux plutôt conservateurs (fiscalement) n'ont jamais pris le NPD au sérieux et migreraient vraisemblablement vers le PC.

Au Québec, bien des électeurs attirés par l'orange du NPD seraient rebutés par l'ajout d'une touche de rouge, synonyme pour eux de mauvais souvenirs constitutionnels ou de commandites.

Le principal argument des pro-fusion consiste à dire que c'est la meilleure, sinon la seule, façon de battre les conservateurs. «Battre son adversaire», ça ne fait pas un programme politique.

Qui dit fusion dit négociations, compromis, sacrifices, bonne volonté et même abnégation.

Malgré l'esprit de franche camaraderie qui régnait samedi à Toronto entre libéraux et néo-démocrates, on a vu cette semaine que c'est trop demander aux deux partis pour le moment.