Des prix gonflés pour les grands chantiers, des fonctionnaires qui ferment les yeux, des firmes de génie-conseil qui «pèsent fort sur le crayon», des entrepreneurs qui empochent des «extras» et qui en redonnent aux partis politiques, ben voyons, c'est pas une nouvelle, tout le monde savait ça!

Voilà précisément ce qui est inquiétant dans ce rapport de l'Unité anticollusion obtenu par Radio-Canada et La Presse: ça fait des années qu'on entend ces histoires, que les journalistes d'enquête les documentent, qu'on sait qu'il y a des cas de collusion dans l'industrie et que le crime organisé fait la pluie et le beau temps dans le milieu. Ça fait des années qu'on réclame une enquête publique, bref, ça fait des années qu'on sait qu'il y a quelque chose de pourri dans le merveilleux monde de la construction.

On sait tout ça, comme les Italiens savent que la mafia règne à Palerme ou à Milan. Ce n'est même plus une nouvelle, c'est la fatalité.

N'empêche, le rapport obtenu hier par Radio-Canada relance un débat que Jean Charest espérait avoir étouffé: pour ou contre une commission d'enquête sur le milieu de la construction?

Pas étonnant que Pauline Marois ait sauté sur ce sujet avec autant d'enthousiasme. Pour la chef du PQ, le retour du dossier de la construction quelques jours avant la reprise des travaux à Québec, c'est la première bonne nouvelle depuis longtemps. Cela lui permet d'éviter les questions sur son leadership et sur les problèmes internes au PQ et de contre-attaquer sur un sujet qui lui a été favorable: la corruption dans le monde de la construction.

Depuis des années maintenant, le gouvernement Charest tourne autour du pot, reconnaissant le problème (sinon, il n'aurait pas créé l'Unité anticollusion de Jacques Duchesneau ou l'Unité permanente anticorruption), mais niant toute ramification politique.

On dirait bien que la réalité vient de le rattraper.

Dans la même journée, on a appris, sous la plume de mon collègue Fabrice de Pierrebourg, que l'Unité permanente anticorruption (UPAC, annoncée en grande pompe par le gouvernement en février) n'est en fait qu'une coquille dysfonctionnelle et connu les détails d'un rapport secret de l'autre unité, celle de l'anticollusion.

Désorganisation dans une unité, fuite dans une autre, improvisation et panique du gouvernement, y a-t-il un pilote dans cet avion?

Vous ne trouvez pas surprenant que le nouveau ministre des Transports, Pierre Moreau, ait déclaré la semaine dernière, à peine trois jours après avoir été nommé à ce poste, qu'il fallait changer la culture de ce ministère? Après trois jours, M. Moreau plaidait pour une plus grande transparence! Ou bien il parle à tort et à travers, ou bien il sait - le gouvernement sait - qu'il y a un grave problème aux Transports. Personnellement, j'opte pour la première hypothèse.

À quelques jours d'une nouvelle session parlementaire, on revient donc à la case départ: que se passe-t-il vraiment dans le milieu de la construction? Paye-t-on trop cher pour les travaux publics? Qui profite des magouilles? Le gouvernement a-t-il perdu le contrôle?

Au moment où de nouvelles informations troublantes surgissent, au moment où on lance des travaux publics de plusieurs milliards, au moment où des poutres tombent sur nos autoroutes, au moment où l'ancien ministre des Transports vient d'être muté avec les félicitations de son premier ministre, la question se (re) pose: à quand une enquête publique sur l'industrie de la construction?