Depuis des mois, et en particulier depuis quelques jours, le gouvernement Charest répète que nous n'avons pas besoin d'une commission d'enquête publique sur le monde de la construction, parce que les policiers font leur boulot et que des arrestations viendront en temps et lieu.

Patience, toutefois, précisent Jean Charest et ses ministres: les enquêtes policières prennent du temps et la collecte de preuves solides pouvant résister à l'épreuve d'un procès n'est pas une mince affaire.

On n'a pas de preuves, pour le moment, que la stratégie du gouvernement Charest réussira, effectivement, à faire le ménage, comme l'a promis le premier ministre, mais des indices de plus en plus nombreux laissent croire que la police n'a pas les coudées franches pour remplir l'immense mandat que lui a donné Québec.

Juste comme le gouvernement Charest nous dit de laisser la police faire son boulot, mes collègues de notre unité d'enquête (pour reprendre une expression à la mode!) ont appris qu'un enquêteur efficace et respecté sera (ou serait, la situation est confuse) «muté» de l'escouade Marteau aux enquêtes sur le crime organisé autochtone.

M. Martin a apparemment déplu à ses supérieurs en accordant à mon collègue Fabrice de Pierrebourg une entrevue dans laquelle il décrivait, il y a quelques mois, les liens entre firmes de génie-conseil, entrepreneurs de grands chantiers et partis politiques. Le noeud de l'affaire était là, selon lui, ce que vient de confirmer, par ailleurs, le rapport Duchesneau.

Éric Martin a notamment enquêté sur les histoires de financement illégal et de corruption à Boisbriand. Son expertise aurait pu être fort utile, mais il semble bien qu'il ira relever de nouveaux défis dans une autre escouade. C'est son choix, affirme la direction de la SQ. Ça tombe mal. Juste au moment où le gouvernement nous dit que Marteau donne des résultats, voilà que cette équipe perd le centre de son premier trio.

À la lumière du cas du capitaine Martin, il ne faut pas trop s'étonner que des enquêteurs de la SQ se plaignent, comme ils l'ont fait la semaine dernière à La Presse de façon anonyme, d'ingérence et de pression politiques dans leur travail.

Le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, s'est empressé de banaliser l'affaire en parlant d'une lettre anonyme envoyée aux médias par la mafia pour déstabiliser la police, mais il y a visiblement quelque chose qui ne tourne pas rond à la SQ. Ou, plus précisément, entre la SQ et le gouvernement. D'un côté, le gouvernement met la pression sur la SQ en répétant que ses enquêtes donneront bientôt des résultats; de l'autre, les enquêteurs qui sont au front se plaignent de ne pas avoir les coudées franches.

Les relations entre un gouvernement et sa police nationale sont souvent tendues, surtout en période de crise, comme en ce moment au Québec. On a vu la même chose entre le gouvernement fédéral et la GRC il y a quelques années, au plus fort du scandale des commandites.

D'un côté, le gouvernement libéral répétait que la «police montée» faisait son travail et pourchassait les voleurs; de l'autre, des enquêteurs de la GRC se plaignaient dans des courriels anonymes du peu d'empressement de leurs supérieurs à épingler les gros poissons, en particulier les acteurs politiques.

De fait, la GRC a pincé un fonctionnaire et quelques propriétaires d'agences de publicité, mais aucun politicien ou organisateur important n'a été accusé de quoi que ce soit. Je suis convaincu que ce n'est pas parce que les enquêteurs de la GRC n'ont pas essayé...

Assisterons-nous au même scénario au Québec, dans la filière construction?

On peut le craindre. Et jusqu'à preuve du contraire, nous n'aurons pas de commission d'enquête pour faire la lumière sur les magouilles du financement des partis politiques au Québec. Le grand coup de balai promis par le premier ministre Charest risque de se transformer en une modeste retouche au plumeau.

La table est mise pour la comparution de Jacques Duchesneau, cet après-midi, devant la commission parlementaire de l'administration publique.

Le chef de l'Unité anticollusion pourra notamment expliquer cette étonnante idée de tenir une enquête à huis clos sur l'industrie de la construction. Dans le climat actuel, la suggestion est plutôt mal accueillie parce qu'elle renforce l'impression largement répandue qu'on veut étouffer les affaires à Québec.

M. Duchesneau pourra expliquer, notamment, pourquoi il a changé d'avis sur la nécessité de tenir une enquête publique, lui qui a pourtant documenté l'ampleur de la corruption, de la collusion et du financement illégal des partis politiques.

Pour le reste, ne retenez pas votre souffle, il ne sortira vraisemblablement pas grand-chose de cet exercice.