10-25-16... Appelons cela, aux fins de l'exercice, le code Duchesneau.

Oublions un instant cette idée de commission bicéphale, privée et publique, dont a beaucoup parlé Jacques Duchesneau hier devant la commission parlementaire de l'Assemblée nationale, pour nous concentrer sur ses trois chiffres qui démontrent à quel point c'est mal barré au Québec.

Il faudra, selon Jacques Duchesneau, au moins 10 ans pour que le ministère des Transports du Québec récupère 25% de l'expertise perdue au fil des années au profit du privé, et ce, au moment où le gouvernement s'apprête à dépenser 16 milliards de dollars dans des grands projets d'infrastructures.

Ajoutez à ce constat les déclarations-chocs de Jacques Duchesneau sur l'omniprésence du crime organisé au sein même de l'État québécois, sur son intérêt à se recycler en entreprises «propres» notamment en construction, sur l'intimidation comme mode de gestion des chantiers et sur le financement des partis politiques par de l'argent sale ou par des firmes trop intéressées, et vous aurez des raisons légitimes de vous inquiéter du bon usage de vos impôts.

«Les gens du ministère des Transports gèrent des contrats avec le privé, mais ils savent de moins en moins comment fonctionne un chantier», a résumé M. Duchesneau au cours de sa longue comparution.

Sur le fond, l'exercice n'aura pas permis d'en apprendre beaucoup plus que ce qu'on a lu dans le rapport divulgué ou entendu dimanche soir à Tout le monde en parle puisque M. Duchesneau a prévenu d'emblée les parlementaires: si vous voulez des noms, nous devrons entrer en huis clos, ce qui ne lui a pas été accordé.

Le chef de l'unité anticollusion voulait passer un message: il connaît le milieu, il sait des choses et des noms. L'anecdote à propos des valises de «cash» volées sur les chantiers du Québec le vendredi démontre à elle seule le côté «far west» qui règne au Québec.

Jusque-là, pas de problème: l'ancien policier responsable de l'unité anticollusion a fait son boulot. Là où ça se gâte, c'est quand il essaye d'expliquer comment fonctionnerait une commission d'enquête qui commencerait par une phase à huis clos, puis poursuivrait ses travaux en public.

Cette proposition a semblé retenir l'attention des députés libéraux, mais elle a plus indisposé les députés de l'opposition qu'elle ne les a éclairés.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la suggestion de M. Duchesneau n'est pas limpide.

D'un côté, Jacques Duchesneau affirme qu'il est urgent de tenir une commission d'enquête publique, mais, de l'autre, il affirme que certains témoignages devront être recueillis en privé.

D'un côté, M. Duchesneau maintient qu'il est toujours favorable à une commission d'enquête publique, mais, de l'autre, il sous-entend que les témoins les plus intéressants, ceux qui ont des choses incriminantes à dire, n'accepteront pas de témoigner en public de peur de subir des représailles physiques ou pécuniaires.

«Si on pense qu'un contrat donné est en train de causer des problèmes, par exemple, qu'il y a des dépassements de coût», on peut convoquer les personnes concernées devant la commission à huis clos, a expliqué en substance M. Duchesneau. N'est-ce pas là le rôle, justement, de l'Unité anticollusion et de l'Unité permanente anticorruption?

L'objectif d'une commission d'enquête publique est de démontrer l'infiltration, les renvois d'ascenseur aux partis politiques, les cartels, la complaisance des élus et des fonctionnaires, bref, démonter un système pour recommander les changements nécessaires. Une commission d'enquête permet déjà d'entendre certains témoins à huis clos. Cela s'est fait chez Bastarache, chez Gomery et même à la CECO, à une autre époque. L'idée n'est pas d'exposer des témoins et de leur peindre une cible dans le dos avant de les lâcher dans la nature, mais si tous les témoignages cruciaux se font derrière des portes closes, on ne peut plus parler d'une enquête publique.

À plusieurs reprises, hier, on sentait manifestement le malaise entre Jacques Duchesneau qui pédalait pour expliquer sa position confuse et les députés de l'opposition qui ne comprenaient visiblement pas (et ils ne sont pas les seuls) la mécanique d'une commission à deux vitesses.

Malaise, d'une part, parce que cela donne l'impression que le chef de l'unité anticollusion essaye très fort d'envoyer une bouée de sauvetage au gouvernement Charest, embourbé dans son refus de déclencher une enquête publique.

Pour plusieurs, voici une porte de sortie inespérée pour les libéraux: attendre encore quelques semaines, puis annoncer qu'ils acceptent la proposition Duchesneau de lancer une première phase, à huis clos, de la commission d'enquête, laquelle n'aura évidemment pas terminé ses travaux avant les prochaines élections, en 2012. Reste à promettre qu'il y aura une suite, et le tour est joué.

Certains vont même jusqu'à prétendre que Jacques Duchesneau est téléguidé par le gouvernement. C'est mal connaître Jacques Duchesneau, un homme qui ne suit que son propre ordre du jour.

Le vrai malaise est là, justement, d'après moi: Jacques Duchesneau mélange les genres et outrepasse son mandat. Il a fait, aucun doute là-dessus, un travail remarquable d'enquête, utile surtout, mais qui lui a demandé de se lancer dans le débat sur la nécessité de tenir une commission d'enquête ou deux commissions d'enquête? Ce faisant, il plonge dans la marmite politique, ce qui n'est ni son rôle ni son mandat.

Jacques Duchesneau l'a dit lui-même: «Le moment de vérité est politique.»

À Ottawa, il y a sept ans, Sheila Fraser, n'a pas réclamé une commission d'enquête publique, elle a encore moins élaboré des scénarios complexes en ce sens. Elle s'est contentée de déposer son rapport.