À tout prendre, la CAQ de François Legault n'aurait pas épousé l'ADQ de Gérard Deltell, ni aucun autre parti, mais la réalité, dans l'immédiat, c'est que le nouveau parti a besoin de la dot de l'ancien parti de Mario Dumont.

L'ADQ apporte en effet une dot non négligeable dans ce «mariage»: une présence immédiate (à la rentrée du 14 février) à l'Assemblée nationale, quatre députés rompus aux pratiques parlementaires et efficaces dans leurs dossiers et leurs questions, une base organisationnelle sur le terrain (pour ce qu'il en reste) et une base électorale tournant autour de 10%, plus dans certains coins du Québec.

Avec l'ajout de deux anciens adéquistes devenus indépendants (Éric Caire et Marc Picard) et de deux anciens péquistes (Daniel Ratthé et Benoit Charette), le caucus de la CAQ comptera donc huit membres en février, ce qui est insuffisant pour être reconnu comme groupe parlementaire de plein droit (il faut, pour y accéder, avoir fait élire au moins 12 députés et obtenu 20% et plus des voix). La CAQ sera toutefois en bonne position pour demander au président de l'Assemblée nationale une forme de reconnaissance, donc un budget et une présence accrue à la période des questions.

Bien sûr, libéraux et péquistes ne feront pas de cadeau au nouveau parti, mais il pourrait être risqué, par ailleurs, de paraître mesquin devant le parti chouchou des Québécois. Il existe, de plus, des précédents favorisant les petits groupes parlementaires, le dernier remontant à 2009, lorsque l'ADQ a obtenu une forme de reconnaissance.

Évidemment, la CAQ hérite de la dette de l'ADQ - de 600 000$ à 700 000$ -, mais elle gagne au change, mettant la main sur la subvention publique annuelle de près de 800 000$ versée à l'ADQ en vertu de ses résultats électoraux de 2008.

En accueillant les anciens adéquistes (les anciens et ceux qui sont restés), François Legault sait qu'il gagne une base pour les prochaines élections. Si ces six députés ont survécu à la débâcle de 2008, il y a de fortes chances qu'ils conservent leur circonscription.

La dot n'est pas négligeable, c'est évident, et voilà pourquoi ça rouspète un peu dans la belle-famille, en particulier du côté de Claude Garcia et du vice-président de la commission politique du parti, Adrien Pouliot, qui reprochent à M. Legault d'être comme les autres politiciens des grands partis. (Au fait, quelqu'un pourrait-il dire à M. Pouliot d'arrêter de dire: à droite du centre... Si on est à droite, ou à gauche, d'ailleurs, c'est nécessairement du centre.)

Maintenant que le mariage annoncé depuis des mois est confirmé, François Legault doit toutefois souhaiter que la mariée ne se montre pas trop capricieuse, ce qui est loin d'être assuré.

À entendre Gérard Deltell insister lourdement sur le caractère «historique» de cette grande journée pour le Québec, en l'entendant parler des valeurs adéquistes adoptées par la CAQ, on comprend qu'il n'a pas l'intention de se dissoudre docilement dans le nouveau parti.

M. Legault a consenti deux concessions importantes à l'ADQ: instaurer un projet-pilote pour étudier la mixité public-privé en santé et la possibilité d'adopter la politique chère à l'ADQ de verser 100$ par enfant et par semaine aux parents qui gardent les petits à la maison.

Pour la santé, M. Legault ne s'avance pas trop. Un projet-pilote peut s'avérer très utile pour noyer le poisson. On retarde son instauration, on le fait traîner quelques années, puis on conclut que ce n'est pas concluant.

Pour l'allocation aux parents, c'est plus délicat, surtout si les membres de l'ADQ en font une condition pour bénir le mariage. La seule porte de sortie pour M. Legault est le coût d'une telle mesure - plus de 800 millions.

Politiquement, il s'agit toutefois de concessions importantes de la part de M. Legault, puisqu'il ouvre la porte aux critiques des autres partis, qui ne se priveront pas de critiquer le penchant pour le privé en santé.

Il reste à voir aussi comment le chef de la CAQ arrivera à diriger son caucus, lui qui n'est pas élu et qui donnera certainement un rôle prépondérant à Gérard Deltell. Celui-ci acceptera-t-il de prendre ses ordres du chef et de se faire chaperonner par les conseillers de ce dernier?

Et puis il y a la question que les caquistes veulent absolument éviter, mais qui a une fâcheuse tendance à revenir sur la scène politique: la question nationale. Comment s'entendront un Gérard Deltell, perçu il y a peu comme «trop fédéraliste» par M. Legault, et les anciens péquistes, dont Benoit Charette, qui affirment être toujours souverainistes? De beaux débats en perspective!

François Legault vient de se doter d'une aile parlementaire, mais pour le moment, il fait du neuf avec du vieux. Pour donner une image de renouveau réel, il devra rapidement annoncer de nouvelles candidatures, ce qui serait aussi la meilleure façon de réduire l'influence de Gérard Deltell et cie.

Sur la scène fédérale, la disparition de l'ADQ élimine aussi le dernier allié du Parti conservateur de Stephen Harper au Québec. Il n'en restait pas grand-chose, c'est vrai, mais c'était le dernier lien entre le Québec et les conservateurs, qui en sont de plus en plus éloignés.

Le petit point québécois sur l'écran radar conservateur est sur le point de disparaître complètement...