Lorsque Thomas Mulcair est entré samedi matin dans la grande salle du congrès du NPD précédé, pour la deuxième fois en deux jours, de sa bruyante armée de tam-tam, un membre influent du NPD sur la colline parlementaire m'a glissé à l'oreille: «Je suis surpris qu'il ne soit pas entré sur une litière avec porteurs...»

C'est vrai que cette arrivée faisait un peu impériale, mais le nouveau chef du NPD a terminé sa longue course vers le trône de Jack Layton de la même façon qu'il l'a menée: tambour battant, opposant à ses nombreux détracteurs une assurance et une expérience inégalée par ses rivaux.

Thomas Muclair a conquis ce parti, recueillant plus d'appuis et plus d'argent que les autres candidats et gardant le cap vers la «modernisation» du NPD, en dépit des forts vents contraires.

La route n'a pas été facile, comme en témoignent les quatre tours de scrutin nécessaires à son élection. Cela dit, le NPD est maintenant dirigé par un Québécois, ex-député et ministre libéral au provincial, contre la volonté de l'aile orthodoxe de ce parti, ce qui constitue en soi un tour de force.

Se faire élire chef du NPD n'aura pas été du gâteau. Garder intact l'improbable puzzle laissé par Jack Layton aux élections de mai dernier et tenter d'amener le parti au pouvoir représentent un défi encore plus grand.

Le nouveau chef de l'opposition officielle possède toutefois un avantage indéniable: c'est un parlementaire redoutable, prêt à en découdre avec le gouvernement Harper dès aujourd'hui, à la reprise des travaux aux Communes, ce qui contrastera avec la performance faiblarde de l'ex-chef intérimaire Nycole Turmel.

La fin de la course à la direction permet aussi le retour de députés aguerris sur les banquettes de l'opposition officielle. Avec doigté et magnanimité (bon, je sais, ce mot-là ne fait pas nécessairement partie du vocabulaire de Thomas Mulcair, mais il a démontré hier qu'il peut être rassembleur), M. Mulcair peut rebâtir une opposition redoutable aux Communes.

Refaire l'unité d'un parti, c'est la première tâche de tout nouveau leader. La plupart des députés croisés depuis samedi soir s'entendait pour dire que le NPD ne sort pas trop amoché de cette lutte fratricide. «C'est sûr que tu es toujours un peu déçu quand ton candidat ne gagne pas, m'a dit Yvon Godin, un partisan de Brian Topp. Mais les candidats dans cette course ne se sont pas trop déchirés, il n'y a pas trop de traces des attaques entre eux, et Tom devrait être capable d'unir tout le monde. Nous autres, ce qu'on veut maintenant, c'est nous battre contre Harper.»

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Il faut rappeler toutefois qu'aucun candidat dans la course ne s'est rallié officiellement au nouveau chef durant sa longue marche vers le trône, chacun laissant ses partisans libres de choisir. Aucun n'a donné de mot d'ordre en faveur de M. Mulcair, même lorsqu'il est devenu mathématiquement certain qu'il se dirigeait vers la victoire. Le nouveau chef devra faire une place à ses anciens rivaux tout en s'assurant de leur loyauté. Peggy Nash représente l'aile syndicale et est très présente à Toronto; Paul Dewar a une forte base à Ottawa et c'est un parlementaire respecté; Niki Ashton, 29 ans, du Manitoba, représente la relève et Nathan Cullen, l'autre grand gagnant de cette course (3e avec 25% des voix), est l'image du renouveau en plus d'être très populaire en Colombie-Britannique, terre fertile du NPD.

Le nouveau chef a rejeté, sitôt élu, l'idée d'un rapprochement NPD-PLC défendue par Nathan Cullen, mais il ne peut nier que cette proposition a fait son bout de chemin parmi les militants néo-démocrates. Tant que le NPD reste fort dans les sondages, tant qu'il reste uni, M. Mulcair peut éviter le sujet d'une alliance centre-gauche.

Habituellement, un parti a tendance à monter dans les sondages après avoir élu un nouveau chef. Mais la lune de miel avec le parti et avec l'électorat ne dure presque jamais. Dès lors, l'idée de Nathan Cullen pourrait resurgir avant les prochaines élections, à l'automne 2015.

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Thomas Mulcair a toutefois l'avantage de ne pas avoir à se préoccuper de son principal rival, Brian Topp, qui n'est pas élu aux Communes, et qui ne fait plus partie de la direction du NPD, dont il était le président.

Visiblement déçu du résultat, Brian Topp m'a dit samedi soir en sortant du centre des congrès qu'il comptait bel et bien se présenter pour le NPD. «J'ai pris le goût de la politique», m'a-t-il dit, mais des militants qui lui ont posé la question après sa défaite ont obtenu une réponse beaucoup plus vague, du genre «je vais réfléchir à tout ça».

Brian Topp n'a pas lâché le morceau jusqu'à la toute fin, réaffirmant avant le dernier tour de scrutin que les militants néo-démocrates avaient à choisir entre un vrai parti social-démocrate et une imitation du Parti libéral. On voit mal M. Mulcair lui dérouler le tapis rouge.

Dans son camp, c'était la consternation. Raymond Guardia, l'organisateur en chef du NPD au Québec aux dernières élections et président national de la campagne Topp, sait que l'arrivée de

M. Mulcair signifie la fin pour lui au NPD. «Tom me l'a dit lui-même en septembre dernier: s'il gagne, pour moi, c'est fini, je vais devoir me trouver autre chose ailleurs», a dit M. Guardia samedi soir, sous la pluie, en face du centre des congrès de Toronto.

En plus de l'unité des troupes, un autre défi majeur attend M. Mulcair: rétablir le lien avec Québec, là où il compte de nombreux ennemis, aussi bien chez les libéraux que chez les péquistes. Chef de 58 députés québécois aux Communes, le nouveau chef de l'opposition devient aussi le principal relai du Québec devant le gouvernement Harper.

Bien hâte de voir la première rencontre avec Jean Charest...