S'il y a un mot qui résume mieux que tout autre ce premier budget du gouvernement majoritaire de Stephen Harper, ce serait: «business». Le ministre des Finances a déposé hier un document qui ressemble davantage à un plan d'affaires qu'à un budget.

Érigeant la création d'emplois et le développement économique au rang de nouveau dogme suprême du Canada, le gouvernement Harper mise le paquet sur l'exploitation des ressources naturelles, l'ouverture de nouveaux marchés, les investissements privés et la main-d'oeuvre.

Au passage, certains ministères passent dans le tordeur, notamment l'Environnement et l'Immigration, qui devront maintenant se mettre au service de la création d'emplois. Les bouleversements à venir sont majeurs.

Résumons la position du gouvernement Harper telle que décrite dans ce budget: les évaluations environnementales sont trop nombreuses, trop longues et trop tatillonnes, ce sont des «tracasseries», des «labyrinthes tortueux», une véritable «plaie» même, qui fait fuir les investisseurs. Le gouvernement modifiera donc la loi pour qu'il n'y ait plus qu'une seule évaluation environnementale par projet, dans un délai clairement établi.

Dans ses documents, le ministre des Finances détaille même l'expérience malheureuse de pétrolières et minières dont les projets de pipeline ou de mine d'uranium ont souffert des délais d'évaluation.

On prévoit, dans la prochaine décennie, 500 grands projets d'exploitation de ressources naturelles au Canada, des investissements de 500 milliards, des centaines de milliers d'emplois et des centaines de milliards en retombées pour l'économie canadienne, selon le budget. Devant des chiffres aussi alléchants, le ministère de l'Environnement, qui pesait déjà peu aux yeux des conservateurs, vient d'être réduit au rang d'agence d'approbation des grands projets. Ce budget donne un coup d'accélérateur, entre autres, au projet de pipeline devant transporter le pétrole des sables bitumineux de l'Alberta aux États-Unis.

Même coup de barre «business» au ministère de l'Immigration, qui devra dorénavant accélérer le traitement des demandes et privilégier les immigrants qualifiés prêts à intégrer le marché du travail.

Le titre de ce chapitre dit tout: «Créer un système d'immigration économique efficace et souple».

Le Canada doit mettre ses efforts à attirer les immigrants les «plus doués et les plus brillants», dit-on dans le budget. Pour y arriver, Ottawa commencera par abolir les demandes de quelque 280 000 immigrants sur la liste d'attente depuis 2008 et les remboursera pour les frais engagés (130 millions). On reprend donc à zéro, avec les immigrants qui correspondent aux nouveaux critères et qui seront sélectionnés plus rapidement.

Ottawa veut par ailleurs s'assurer que les employeurs cherchent d'abord à combler leurs besoins saisonniers auprès de la main-d'oeuvre locale avant de faire appel à des travailleurs étrangers temporaires.

On sent également l'approche «business» de ce gouvernement dans les mesures touchant l'innovation (qui devra mieux répondre aux besoins des entreprises), dans les programmes destinés aux autochtones et dans les changements à l'assurance emploi.

Même touche «business» à Patrimoine Canada, qui confirme par ailleurs des compressions massue de 115 millions à Radio-Canada en trois ans. On apprend que Patrimoine Canada «se concentrera sur les activités de financement donnant lieu à des contributions de la part de partenaires».

Le ministre Flahery l'a dit clairement hier: il veut changer la culture du gouvernement fédéral.

Le rétrécissement des pouvoirs du ministère de l'Environnement, les nouvelles mesures à l'Immigration et les modifications au régime de retraite et à l'assurance emploi provoqueront assurément des réactions négatives chez les partis de l'opposition, en particulier au Nouveau Parti démocratique (NPD) de Thomas Mulcair. M. Harper le sait. Il le souhaite, d'ailleurs. Chaque fois que M. Mulcair critiquera ce budget, M. Harper répétera que le NPD est contre la création d'emplois et l'exploitation de nos ressources naturelles.

Chaque fois que le NPD critiquera les compressions et les choix budgétaires, le gouvernement répondra que l'opposition veut retarder l'atteinte de l'équilibre budgétaire. Bref, les socialistes irresponsables contre le très responsable gouvernement conservateur.

Stephen Harper aura aussi tout le loisir de répéter, ce qui est vrai, que, contrairement aux libéraux des années 90, il n'équilibre pas son budget en réduisant les transferts aux provinces.

Vous pouvez d'ailleurs gager dès maintenant que cet équilibre sera atteint plus tôt qu'en 2015, ce qui permettra aux conservateurs d'offrir des cadeaux budgétaires aux Canadiens juste avant les élections d'octobre 2015.

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