Henry Fournier était le prof le plus populaire de l'école. Une petite école primaire tout ce qu'il y a de plus normal dans la région de Montréal. Environ 300 élèves. Et comme de raison, le prof d'éducation physique, M. Fournier, était le seul homme enseignant.

Un homme souriant, qui adore les enfants et que les enfants adorent. Si on ajoute ses années d'enseignement au secondaire, Henry Fournier a 31 ans d'expérience. À 55 ans, loin d'être blasé, il était encore à organiser toutes sortes d'activités, tournois et récompenses, toujours à encourager les unes et les autres.

 

Trente-et-un ans sans que la moindre rumeur malveillante ne l'entoure, c'est du moins ce qu'a dit une ancienne directrice de cette petite école. Pourtant, Dieu sait combien les écoles sont des nids à rumeurs.

Une, puis deux, puis 19...

Ça, c'était jusqu'au mois de février 2008. Deux élèves de quatrième année se plaignent d'avoir subi des touchers sexuels de la part de leur professeur d'éducation physique. Les parents se plaignent à la police. La directrice, de son côté, rencontre des élèves et en moins d'une semaine, une sorte de boule de neige judiciaire grossit, grossit, et tombe sur le prof Fournier.

Le 22 février, M. Fournier est arrêté chez lui et emprisonné. Il passe presque une semaine en prison en attendant d'être libéré sous caution. Il est accusé d'agression sexuelle et de contact sexuel aux dépens de 19 fillettes.

La Presse, le Journal de Montréal, le journal local, LCN, enfin tout le monde fait état de l'arrestation. Imaginez un peu: 19 victimes! Les médias notent que l'homme n'avait aucun antécédent judiciaire. Certains font le lien avec la directive ministérielle de 2006 voulant que le passé judiciaire de chaque personne employée par l'État pour travailler auprès des enfants soit fouillé. Malgré cette vigilance, ce pédophile-là serait passé entre les mailles du système...

Acquittement

M. Henry Fournier a été acquitté le 29 octobre de toutes les accusations qui pesaient contre lui. Vous ne retrouverez pas grand trace de cet acquittement dans les médias, l'affaire est passée inaperçue dans le tumulte des élections municipales et plusieurs ne l'ont tout simplement pas rapportée (on l'appelait Henri Fournier lors de son accusation).

Autant l'accusation était énorme, autant l'acquittement est troublant. À lire la décision de la juge Odette Perron, de la Cour du Québec, on a l'impression d'être devant une pure fabulation, amplifiée par la rumeur d'un groupe de fillettes, relayée par une direction paniquée et des parents inquiets, et approuvée par une enquête policière d'une semaine.

Rumeurs, rumeurs...

Après avoir entendu les deux premières plaignantes dans cette histoire, la directrice avait pris une note dans son calepin: «Chicane de filles»...

Mais évidemment, pas question de prendre l'affaire à la légère, d'autant plus que la police a déjà ouvert une enquête. La machine s'est emballée. Avant même d'être accusé, le prof est suspendu avec salaire. Une lettre est ensuite envoyée à tous les parents pour dire que la situation est sous contrôle...

En deux jours, la rumeur s'était tellement amplifiée qu'on ne parlait que de ça à l'école, et toute une série de fillettes se sont mises à dénoncer le prof pour une caresse d'il y a trois mois, subitement devenue équivoque.

De quoi s'agissait-il? Presque toujours de la même histoire. Les élèves disaient avoir été touchées sur les seins ou près de la vulve, soit en plein cours d'éducation physique, soit dans son bureau ouvert et toujours devant témoins.

Mais les témoins n'avaient rien vu, ou n'ont pas été appelés à la barre. Et les témoignages étaient invraisemblables pour la plupart.

Les filles se parlaient des événements sans arrêt, certaines faisaient des blagues en disant qu'elles allaient voir la «pop-po» (la police), on «chattait» allègrement sur l'histoire...

Devant la Cour, plusieurs enfants ont atténué leur version. On ne savait plus bien s'il avait touché la cuisse ou la vulve, s'il avait donné une tape d'encouragement dans le bas du dos ou «flatté les fesses». Aucune n'a parlé d'allusions sexuelles. L'une des leaders du groupe s'est décrite comme une de celles qui «ont parti toute l'affaire».

Ce n'est peut-être pas une bonne idée pour un prof de prendre un élève sur ses genoux, a dit la juge Perron. Mais ça n'est pas une agression sexuelle pour autant. Elle n'a vu aucune connotation dans les gestes de M. Fournier et a cru entièrement sa version.

La juge Perron observe la mécanique de l'amplification et de la contamination: «Chacune recherche le geste qui a pu être posé l'année dernière, le mois dernier, elle aussi a un fait à relater, le tout prend des proportions importantes.»

Une mécanique qui a broyé Henry Fournier.

Risque zéro

Comment se fait-il que ce qui ressemble plus à du commérage de cour d'école a pris, aussi vite, une telle proportion?

Comment des témoignages aussi faibles ont pu être accrédités dans la précipitation par la police et la poursuite?

Dix-neuf victimes, bien entendu, c'est possible. Mais les circonstances dans lesquelles elles se sont déclarées auraient dû soulever le doute et, à tout le moins, entraîner une enquête plus prudente. Il y avait tous les signes classiques de la contamination des versions.

C'est l'époque, sans doute. Personne ne veut prendre la chance de laisser courir un présumé pédophile. Accusons d'abord, on verra bien plus tard. Et puis, c'est sa photo à lui qu'on verra dans le journal, pas celle d'une direction qui l'aurait laissé courir impunément.

C'est ce qu'ils appellent le risque zéro, j'imagine.