Vite, vite, qu'on en finisse avec ce centenaire qui a duré 100 ans. Leurs bras meurtris ne tendent plus le flambeau, ils nous assomment avec.

Je n'ai rien contre la nostalgie, mais cette glorification débridée du passé a dépassé les bornes du marketing de bon aloi depuis un moment déjà. Chansons, films, livres, documentaires, émissions spéciales, chandails retirés, bariolés, briques, noms de rue, statues...

On arrive au centenaire aujourd'hui et on n'en peut déjà plus.

Et c'est un amateur qui parle, père de trois amateurs. Un gars qui en a, lui aussi, des souvenirs. Ma mère qui me réveille pour revoir en reprise le deuxième but d'Henri Richard sur la télé noir et blanc, une nuit de Coupe Stanley. Une signature de Maurice Richard sur un paquet de cigarettes de mon père. Des cours qu'on manquait pour le défilé, au secondaire... année après année, comme si on avait un droit inaliénable à la Coupe. Et même, la Coupe de 1979, avec mon cousin au Forum, des billets de mon oncle... OK, OK, une belle grosse fête. Mais depuis deux ans, c'est une orgie passéiste. Aucun des morceaux n'est franchement affreux, il y a même de belles choses. Mais l'accumulation vertigineuse donne la nausée.

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J'ai l'impression de voir en boucle des films de chars à boeufs pour fêter les 100 ans de l'industrie automobile.

Et puis, il y a un effet pervers à ces célébrations du bon vieux temps. On nous présente inévitablement un passé qui est une sorte de monde idéal. Mais il devient une référence.

Par exemple, cette phrase qu'on répète sans arrêt : le Canadien n'a jamais remporté de Coupe Stanley sans avoir une bonne douzaine de Québécois francophones. C'est vrai. Mais tout ce que ça signifie, c'est qu'il n'a pas gagné la Coupe depuis longtemps. Depuis l'effondrement de l'URSS, en fait, et l'arrivée massive de joueurs européens, qui sont la crème.

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Le hockey des années 30, 40, 50 et 60 était un sport professionnel limité géographiquement au Canada et au nord des États-Unis, joué par des Canadiens (et de rares Américains).

Jusqu'en 1970, plus de 90% des joueurs de la LNH étaient des Canadiens. Dans le lot, évidemment, les Canadiens français étaient bien représentés.

Gagner cinq fois de suite la Coupe Stanley est certes formidable. Mais c'est plus facile quand on joue à 6 qu'à 30. Ce n'est qu'en 1967 qu'on est passé de 6 à 12 équipes. La dernière grande dynastie du Canadien, celle des années 1970, est une survivance de l'ancien système.

Bien sûr que l'équipe était fabuleuse. Mais on a beau ressasser ces souvenirs, ce temps-là ne reviendra pas.

Sauf qu'en la regardant, on est encore plus déçu de l'équipe actuelle. Ou plus exactement, on trouve une fausse explication aux problèmes d'aujourd'hui : l'équipe «nationale» ne compte que deux, trois Québécois !

Autre cliché: «Si les Nordiques existaient encore, le Canadien serait forcé de repêcher des Québécois.» Oh, sûrement un ou deux. Mais les Nordiques aussi, c'est de l'histoire ancienne. C'est le hockey des années 80. L'équipe a disparu en 1996, justement quand le hockey a basculé dans une nouvelle ère mondialisée.

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Le monde paternaliste des années 50-70, où les joueurs n'avaient aucun droit et étaient soumis aux propriétaires sans savoir ce que leurs coéquipiers gagnaient, ce monde-là est révolu. Ils sont mobiles comme jamais et qu'ils soient de L'Île-Bizard ou de Moscou, ils veulent les meilleurs contrats possible. Allez donc les blâmer.

L'illustration par l'absurde : le film Pour toujours les Canadiens. L'histoire est à la fois un hommage aux joueurs du passé et un lien avec les joueurs d'aujourd'hui. Bonne idée. Plusieurs joueurs du Canadien ont pris part au tournage l'an dernier... Mais aucun n'est encore dans l'équipe cette année!

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Les jeunes fans n'ont jamais connu ce passé. Ils aimeraient bien une équipe qui gagne tout le temps. Ben oui. Et des joueurs de Rosemont. Évidemment.

Mais ils sont de leur temps. Ils ne regardent plus le hockey comme nous le regardions.

Le Canadien est immensément populaire, mais ce n'est plus le symbole d'une nation en manque de héros. Parce que le hockey a changé et, Dieu merci, le Québec aussi. On a des astronautes, aussi. Ils voudraient bien Lecavalier, mais si vous leur offrez Ovechkin, vous pourriez être déçus...

Quand j'entends un des meilleurs joueurs de l'équipe, l'Américain Scott Gomez, qui nous fait une phrase en français, je me dis : enfin un qui a compris, qui a ouvert la fenêtre, qui a eu ce minimum de curiosité et d'ouverture. Un qui sait où il habite.

Il n'est pas un «pure laine». Comme ne le sont pas des centaines de milliers de nouveaux fans. Il n'est sans doute que de passage. Ainsi va la vie sportive. Mais il a décidé d'être un Montréalais. Dans ce geste de courtoisie, je vois de l'avenir.