Voici une histoire d'intimidation dans la construction, mais avant de la raconter, quelques précisions s'imposent.

J'en entends qui s'interrogent tout haut: l'intimidation dans la construction, qu'osse ça donne?

Ça donne du pouvoir. Un pouvoir qui se monnaie de toutes sortes de façons. Pour les travailleurs qui sont du bon bord. Et pour les organisations.

À entendre les gens de la FTQ-Construction, l'intimidation sur les chantiers est une sorte de légende urbaine. Un truc marginal et folklorique, même pas prouvé.

La preuve: il n'y a eu que six plaintes l'an dernier, dit Richard Goyette, directeur général du syndicat. Il y en avait des centaines dans les années 70! Nous vivons donc une période de paix syndicale sans pareil.

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C'est une version. L'autre version, c'est que les employeurs et les victimes d'intimidation préfèrent se fermer la gueule plutôt que de se lancer dans une guerre perdue d'avance contre certains syndicats, à peu près toujours les mêmes.

Demain, ils auront besoin d'hommes sur un chantier et s'ils ne les ont pas, ou s'il y a un mot d'ordre de ralentissement, les contrats vont s'envoler assez vite: pas capable de livrer à temps!

Je parle ici des grands chantiers, ceux qui emploient plusieurs centaines de travailleurs, parfois des milliers. Ce n'est pas «la construction», ce n'est peut-être que 10% de l'industrie, mais c'est là où le pouvoir syndical est le plus grand.

Autre précision: la FTQ-Construction domine dans certains métiers, mais pas dans tous. Elle n'a rien à envier, question gros bras, au Conseil provincial des métiers de la construction, qu'on appelle dans le milieu l'International, et qui représente le quart de tous les travailleurs.

Les électriciens, les grutiers, les opérateurs de machinerie lourde (le fameux 791 du sympathique Bernard «Rambo» Gauthier) et les journaliers, par exemple, sont surtout de la FTQ-Construction.

Mais les chaudronniers, les tuyauteurs, les mécaniciens de chantier sont sous le contrôle de l'International.

Chaque syndicat a ses façons de faire, certains sont relativement souples, d'autres, comme dit Rambo, «ne font pas dans la dentelle».

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Voici donc l'histoire banale d'un chantier de Mont-Laurier. L'usine Uniboard, qui fabrique des panneaux de bois, devait faire remplacer une presse. Il fallait pour ça fermer l'usine pendant un mois, en janvier 2006, et embaucher la firme de construction HMI.

On aura deviné qu'il n'y avait pas de temps à perdre, comme c'est souvent le cas dans ces chantiers: si les délais ne sont pas respectés, HMI reçoit moins d'argent.

Avant le début des travaux, on fait quelques réunions à l'usine. HMI a embauché des mécaniciens et des contremaîtres. À noter que sur les chantiers de construction, les contremaîtres ne sont pas des cadres, mais des syndiqués choisis par le syndicat.

Sur place, un mécanicien syndiqué du local 2182 (International) remarque des collègues avec des casques de la CSD. Il appelle son agent d'affaires, qui lui ordonne immédiatement de quitter le chantier. Pas question qu'il travaille avec ces «crisses de crosseurs».

HMI voulait faire travailler côte à côte des syndiqués CSD et International et a tenté de parler aux gens de l'International, mais l'agent d'affaires ne voulait rien savoir. «Chez HMI, vous êtes tous des mangeux de marde, des crosseurs», a dit l'agent d'affaires Beauchesne.

Et l'agent d'affaires d'ajouter: «T'as des CSD au chantier, ça ne se passera pas comme ça, on va les sortir du chantier ou on va fermer l'accès.»

HMI a décidé de faire appel à des mécaniciens syndiqués CSD. Le problème, c'est que dans la région, il n'y en a aucun. Il a donc fallu en faire venir de partout au Québec, avec les frais de transport et d'hébergement évidemment, autant de coûts non prévus.

Mais voilà, la convention collective interdit aux employeurs d'embaucher hors de la région à moins d'avoir épuisé le bassin local.

Le local 2182 a donc déposé un grief, réclamant comme pénalité des salaires et avantages sociaux pour 19 mécaniciens pour un mois de travail.

L'arbitre André Sylvestre a rejeté le grief en mai 2008, disant que le syndicat n'avait pas les mains propres: d'un côté il refuse de travailler en présence de syndiqués concurrents et, de l'autre, il reproche à l'employeur de ne pas embaucher ses membres. Même s'il n'y a pas eu de plainte d'intimidation ou de discrimination, l'arbitre estime que le local 2182 en a fait.

Le grief s'est transporté en Cour supérieure, où la décision de l'arbitre a été cassée en mai 2009. La juge Danielle Grenier a estimé que l'arbitre n'avait pas à parler d'intimidation. Le fait est que HMI a violé la convention en recrutant hors de la région, même avant d'avoir des menaces de l'agent d'affaires, au fait.

Le dossier est maintenant en processus d'appel.

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Laissons de côté l'aspect technique. Voilà une affaire qui, en surface, est une affaire de lutte pour les emplois régionaux, comme dirait Rambo. Mais en vérité, c'est une bataille entre syndicats pour le contrôle d'un chantier.

En pareil cas, l'entrepreneur a choisi de ne pas céder et de payer le prix en faisant venir des travailleurs de l'extérieur. Très souvent, on voit des ouvriers se faire sortir physiquement des chantiers pour qu'un syndicat contrôle totalement le travail. L'agent d'affaires désigne non seulement les ouvriers mais ceux qui les surveillent.

On ne sera pas étonné d'apprendre que ce formidable pouvoir de chantage légalisé mène à toutes sortes de dérapages plus ou moins contrôlés que personne ne veut dénoncer, surtout pas les employeurs.

On ne devrait pas être étonné, non plus, que les grands chantiers québécois coûtent plus cher qu'ailleurs en Amérique du Nord.

Mais bon, on a la «paix syndicale», pas vrai?