Un juge devrait-il pouvoir porter un signe religieux visible ou ostentatoire? La réponse me semble évidente: c'est non. Et, de fait, ça n'arrive pas.

Il y a pourtant au Québec des catholiques, des protestants, des juifs et des pratiquants d'autres religions dans la magistrature. Aucun ne porte le moindre signe visible.

 

Il n'y a pas de règle là-dessus, sauf une très vague obligation de sobriété. Pas de règle, mais une tradition qui va de soi, que personne ne conteste. La justice doit être neutre et apparaître comme telle.

Enfin, peut-être que personne ne l'a contestée jusqu'à maintenant parce qu'il n'y a pas de sikhs traditionalistes à la Cour supérieure. Mais c'est ainsi que ça se passe.

En matière d'accommodements, on ne peut pas tout régler d'un coup. Et quand on le peut, ce n'est pas nécessairement une bonne idée. Mieux vaut avoir certains principes clairs, comme l'égalité des sexes, et laisser une marge de manoeuvre dans les aménagements.

Dans certains cas, toutefois, il y a lieu d'édicter à l'avance des règles uniformes.

Je ne crois pas qu'on devrait interdire tout signe religieux à tous les employés de l'État, comme le réclame le PQ. Un employé de la voirie ou une guichetière à la SAAQ ne représente pas l'autorité de la loi. Ils n'ont pas de décision à rendre, mais une tâche à exécuter.

Par contre, certaines fonctions ont une portée symbolique et juridique tout autre. Les policiers, les procureurs de la poursuite, les juges, les gardiens de prison ont un pouvoir «coercitif», comme dit le rapport Bouchard-Taylor.

 

C'est-à-dire qu'ils ne sont pas seulement payés par l'État pour accomplir une tâche. Ils ont le pouvoir d'arrêter, de punir, de faire emprisonner, de poursuivre des individus. On leur a confié le «monopole de la violence» légale, on leur permet de contraindre des individus, de limiter leur liberté.

Ils doivent, plus que tous les autres employés de l'État, apparaître neutres. On ne doit pas pouvoir leur imputer des motifs religieux, surtout dans une ville comme Montréal.

Ce n'est pas pour rien qu'on les revêt d'un uniforme. Ils incarnent symboliquement cette autorité et ils l'exercent. Ce n'est pas pour l'individu qui porte la toge que l'assistance se lève quand le juge entre en salle d'audience. C'est pour la fonction.

Un professeur n'a pas d'uniforme, un fonctionnaire non plus. Ils sont assujettis, au plus, à certaines limites de sobriété. Mais pour ces employés de l'État, dont une bonne proportion n'a pas de contact avec le public, il n'y a pas lieu d'appliquer cette règle puisque le principe demeure la liberté et qu'on ne restreint la liberté individuelle qu'avec des raisons sérieuses - on ne parle pas de niqab, le cas est bel et bien réglé par le projet de loi.

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Oui, dira-t-on, mais la Cour suprême n'a-t-elle pas autorisé des policiers sikhs de la GRC à porter le turban?

Non. Légende urbaine. La GRC, d'elle-même, a donné le droit aux sikhs de porter le turban. Des retraités de la Gendarmerie royale ont contesté cette décision devant la Cour fédérale, qui les a déboutés, et la Cour suprême a refusé d'entendre l'affaire. Les juges n'ont pas dit que les corps de police étaient obligés de permettre le turban. Ils ont dit que, si un corps policier le permet de lui-même, il est impossible de l'en empêcher au nom de la charte des droits. Le problème s'est donc présenté à l'envers, pour ainsi dire. La nuance est importante. Cela veut dire que la question n'est pas tranchée.

Québec a voulu s'enlever du pied l'épine du minuscule problème du niqab, mais il a évité de faire un pas de plus. La proposition Bouchard-Taylor était pourtant simple, sage et parfaitement soutenable des points de vue social et juridique.

Mais bon, ce gouvernement depuis longtemps préfère la réaction à l'action le moindrement ambitieuse.

Photo d'archives La Presse canadienne

Dans le cas de la GRC, le problème s'est présenté à l'envers: elle a permis d'elle-même aux sikhs de porter le turban, et la Cour a statué qu'il était impossible de l'en empêcher. Résultat: la question n'est pas tranchée.