Le cardinal Marc Ouellet a dénoncé hier le «procès d'intention» fait au pape Benoît XVI par les médias et il n'a pas entièrement tort.

Le fait est indéniable, en matière de scandales sexuels, l'Église catholique a longtemps été bien plus préoccupée par sa réputation que par le sort des victimes.

En 2001, quand il était cardinal, Joseph Ratzinger avait menacé d'excommunication tout évêque qui rendrait publique une enquête sur une affaire de pédophilie dans l'Église.

Non pas que le secret ne soit pas requis pendant une enquête, pour protéger les innocents. Ce qui frappe, c'est la sanction qui se rattache à cette violation du secret: on vous expulse de l'Église.

Pendant des années, non seulement les prêtres condamnés pour pédophilie n'ont pas été excommuniés, mais ils ont été déplacés le plus discrètement possible. Ils ont, dans plusieurs cas, continué à faire des victimes.

Là où le cardinal Ouellet a raison, toutefois, c'est que l'Église n'était pas la seule à prendre à la légère les agressions sexuelles d'enfants.

Encore dans les années 70, on ne faisait pas confiance aux enfants comme témoins devant la cour. D'ailleurs, «ces choses-là» n'existaient tout simplement pas. Ce n'est qu'en entendant les récits d'innombrables adultes au fil des ans qu'on a pu apercevoir l'ampleur du problème.

On s'est rendu compte que les enfants sont des témoins fiables et que, s'ils mentent, ils mentent moins souvent que ceux qui sont accusés de les avoir agressés.

On ne réalise pas souvent à quel point les agressions sexuelles étaient peu dénoncées avant qu'on organise une certaine protection des victimes, au début des années 80, sous la pression des groupes de femmes. C'était encore pire pour les enfants.

Il y a 20 ou 30 ans, les peines infligées aux pédophiles étaient souvent ridicules. Autrement dit, le système judiciaire lui aussi déménageait le danger au lieu de le diminuer.

Dans un dossier paru l'an dernier dans le magazine MacLean's, l'archevêque de Winnipeg, James Weisberger, disait que l'Église, encore il y a 20 ou 30 ans, avait tendance à traiter la pédophilie de la même façon qu'un problème d'alcool: on sermonnait le coupable et on pensait qu'il changerait de comportement. On l'envoyait ailleurs. L'Église avait tort, évidemment, mais la société en général n'était pas infiniment différente.

Les policiers sont maintenant formés pour recueillir les témoignages d'enfants, les hôpitaux ont des méthodes pour détecter les agressions; les tribunaux ont aménagé des salles particulières pour les enfants témoins, mais j'en ai vu l'arrivée au palais de justice dans les années 90: c'était hier.

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L'Église catholique a été hypocrite et complice silencieuse de centaines de pédophiles, sans doute.

Il y a tout de même quelque chose de très commode à examiner l'hypocrisie de cette institution il y a 30 ans, quand la société civile et l'État étaient loin d'avoir compris la gravité du problème - à la fois le nombre de cas de pédophilie et leurs effets destructeurs.

Pour ce qui est des opérations de camouflage de l'Église, rappelons-nous l'affaire de Mount Cashel, à Terre-Neuve, qui a éclaté en 1989 grâce au témoignage d'une victime dans un journal de Saint John's.

Un dossier avait été monté dans les années 70 contre plusieurs des frères de cet orphelinat, mais ce sont les procureurs qui ont décidé de ne pas porter d'accusations. Il y avait eu des centaines de victimes. Quand la vérité a éclaté, la province a tremblé, une commission d'enquête a été formée, des gens d'église haut placés ont été condamnés. On a rasé l'orphelinat - on ne pouvait plus même voir le bâtiment.

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Maintenant que ces scandales sont devenus monnaie courante, on est tenté d'y voir une sorte de spécialité catholique. Les études sur le sujet, pourtant, montrent qu'il n'y a pas plus de pédophiles chez les prêtres catholiques qu'ailleurs dans la société. Et si le célibat entraîne, disons, un rapport assez problématique à la sexualité chez les prêtres (même la masturbation est un péché), rien ne prouve qu'il accroît les risques d'agressions. Le Jay College, après une étude indépendante, a estimé que quelque 4% des prêtres catholiques américains avaient commis un acte de pédophilie - des attouchements furtifs à la pénétration. C'est sensiblement le même pourcentage dans la population en général.

La population en général, cependant, ne prétend pas dicter la morale sexuelle ou vivre de manière plus vertueuse que la moyenne. Ces crimes sont donc plus honteux pour les prêtres, et ça, l'Église s'en soucie.

Ce n'est pas pour rien qu'en plus de minimiser le problème, elle a commencé par étouffer les scandales. Et même aujourd'hui, après avoir changé sa politique, elle n'arrive pas à faire face à son passé pas si lointain. Souvenons-nous des excuses maladroites du cardinal Ouellet pour les actes de l'Église «avant 1960». Comme s'il ne s'était rien passé après. Et comme si l'Église avait agi correctement quand elle l'a su.

Elle a beau ne pas avoir été seule à fermer les yeux, cette Église est encore infectée par sa longue habitude du déni.