Cette fois, Marc Bellemare a parlé. À TVA et à la SRC, il a raconté que des collecteurs de fonds avaient leur mot à dire sur des nominations et l'avancement de certains projets de loi.

Qui sont donc «les gens qui étaient considérés comme étant des collecteurs influents et significatifs du parti»? Le très bref ministre de la Justice ne le dit pas.

Mais ce qu'il dit est suffisamment grave et précis pour être examiné en commission parlementaire, comme le souhaite l'avocat de Québec.

Il y a tout de même ceci de très agaçant. Il n'a pas à magasiner les institutions auxquelles il confiera ses secrets en exclusivité.

Il a commencé par dire publiquement que Jean Charest est au courant des manoeuvres de financement illégal. Jean Charest a demandé au Directeur général des élections d'enquêter. Et, selon Marc Bellemare, «une demi-heure plus tard», le DGE Marcel Blanchet l'appelait pour recueillir son témoignage.

Marc Bellemare voit dans cette célérité une forme d'asservissement du DGE au bureau du premier ministre et il refuse de s'y rendre. Mais que doit faire le DGE si le premier ministre l'appelle pour faire enquête sur son propre parti? Se croiser les bras? Attendre 24 heures?

Rien n'empêche Marc Bellemare de dénoncer ce qu'il sait au DGE et de le dire en public sous serment par la suite. Bien sûr, l'ex-ministre voit la manoeuvre politique du premier ministre: il a parlé au DGE, attendons le résultat de l'enquête! Mais Marc Bellemare veut-il servir l'intérêt public ou gagner une partie politique? Il peut fort bien continuer à faire pression pour parler publiquement même en allant voir le DGE. Sa liberté d'expression y survivra et le gouvernement libéral ne pourra plus rien lui objecter. Après tout, il a attendu six ans...

Voilà l'autre point faible de l'affaire Bellemare. Son silence pendant toutes ces années. Et sa complicité active. Il nous dit qu'il a nommé trois juges sous l'influence de financiers (à TVA, il a dit «au moins deux»).

Pourquoi donc a-t-il accepté de nommer ces candidats? «Parce que c'était une commande des grands collecteurs du parti et le premier ministre était d'accord avec ça», dit-il à Alain Gravel.

On aura beau mettre le tout sur le dos du premier ministre et du système, voici tout de même un homme qui admet avoir obéi à une commande politique des financiers du parti. C'est tout à son honneur de l'admettre, mais pas de l'avoir fait! Ça explique peut-être son silence pendant six ans.

(Une précision. Hier, la vice-première ministre Nathalie Normandeau a dit qu'il est impossible que ces nominations aient eu lieu, parce que le processus de nomination est à l'abri des influences politiques. Ce n'est malheureusement pas le cas. Au Québec, un comité de sélection, formé d'un représentant du juge en chef de la Cour du Québec, d'un représentant du barreau et d'un membre du public choisi par le ministre sélectionne certains candidats aptes à la fonction. La liste, d'une longueur variable, est ensuite soumise au ministre qui sélectionne le candidat, nommé par le gouvernement. Le processus est certainement meilleur que ce qu'on a connu par le passé, mais la préférence politique peut se manifester dans la sélection finale si l'ami politique est jugé «apte».)

Il y a une troisième faiblesse du personnage. Son besoin d'attention médiatique. L'homme s'est fait connaître comme le défenseur des victimes de l'assurance auto. Il a fait campagne pour l'abolition du régime d'assurance sans égard à la faute. Puis il s'est lancé en politique, passant rapidement du PQ au PLQ. Il avait à coeur un dossier en particulier, la réforme des tribunaux administratifs, projet inachevé. Hier, il a dit que c'était à cause de l'influence de certains financiers. Mais à l'époque, le patronat et les syndicats se plaignaient du projet original. Sans compter que M. Bellemare n'avait pas que des amis dans la bureaucratie du Ministère. Quelle est donc la vraie cause de la dilution de ce projet de loi?

Comme procureur général, il s'est aussi permis d'intervenir publiquement dans le dossier de la prostitution juvénile, critiquant le juge au procès de Robert Gillet, annonçant lui-même un appel dans un dossier qui avait besoin de tout sauf de politisation.

Tout ceci nous éclaire sur le futur témoin, mais n'annule pas l'intérêt de son témoignage.

Un ancien membre du gouvernement vient de faire des allégations qui vont au coeur de l'intégrité du système politique. Il affirme avoir des noms, des lieux, des dates. Qu'on le convoque en commission parlementaire et qu'on vérifie rigoureusement ce qu'il a à dire et les preuves qu'il a, en toute transparence et sous serment.

Qu'on en fasse le témoin Bellemare.