Ça ne fait qu'une semaine qu'il est nommé, mais le commissaire Michel Bastarache semble déjà atteint du syndrome Gomery. Il n'est pas capable de résister à une entrevue dans les médias.

Déjà, il a commencé à commenter la preuve, à faire des hypothèses, à s'interroger en public sur les témoins... Exactement le genre de déclarations qui ont mis John Gomery dans l'embarras.

D'abord, l'ancien juge de la Cour suprême, le lendemain de sa nomination comme commissaire, a dit à Radio-Canada être «un peu surpris» des allégations de l'ancien ministre Marc Bellemare et «un peu surpris aussi du fait que c'est venu aussi longtemps après les événements». Nous aussi, remarquez bien...

Quant au fait que le ministre Norman MacMillan soit intervenu auprès de Marc Bellemare pour faire valoir la candidature du fils d'un contributeur libéral, il a dit que «ça pose des questions». Et d'ajouter qu'il veut «connaître les faits un peu avant de déterminer si c'est une affaire monumentale». Bonne idée ! Mais est-ce de l'ironie ? Minimise-t-il l'affaire ?

On a ensuite appris que la ministre de la Justice, Kathleen Weil, consulte le premier ministre Charest et lui soumet la liste des candidats jugés aptes à être nommés juges.

Réaction du commissaire Bastarache le jour même dans La Presse : il dit que «normalement», seul le ministre de la Justice a accès aux noms des candidats qualifiés. Il y aurait donc à première vue une anomalie.

«Ma compréhension, dit-il à La Presse, c'est que le ministre reçoit du comité la liste des personnes qualifiées et propose un candidat.» Il enchaîne : «Normalement, je pense qu'au Québec, le premier ministre reçoit comme les autres (membres du Conseil des ministres) la recommandation du ministre de la Justice.»

Est-ce un problème ? de demander le journaliste. «Ça cause toujours un problème s'il (le premier ministre) ne suit pas le système établi.»

Je suis bien d'accord pour dire que ça cause un problème. Mais le futur témoin Jean Charest n'est sûrement pas de cet avis ! Pourquoi se prononcer à l'avance ? Jean Charest s'est senti obligé ensuite de répliquer publiquement.

Quant au témoin Marc Bellemare, déjà, le commissaire soulève des interrogations sur la durée de son silence. Très bonne question... Mais qu'il la garde pour la commission, quand Marc Bellemare pourra s'expliquer.

Entendons-nous bien : ce sont des commentaires et des interrogations tout à fait pertinents... mais dans un interrogatoire ou dans un rapport, pas dans les médias avant même le début des travaux !

Voilà que Marc-André Bédard, ministre de la Justice sous René Lévesque, déclare n'avoir jamais consulté le premier ministre pour nommer un juge. Entendra-t-on une réaction du commissaire Bastarache ?

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Un commissaire peut bien sûr donner des entrevues. Mais il ne faut pas qu'il commence à faire des commentaires sur la preuve, qu'il émette des hypothèses, qu'il donne son opinion à l'avance dans les médias. Autrement, il donne des munitions à tous ceux qui seront tentés d'attaquer ses travaux par la suite.

C'est arrivé au juge Gomery. En 2005, pendant la relâche du temps des Fêtes, en plein milieu de sa commission, il avait dit à un journaliste que les balles de golf aux initiales de Jean Chrétien étaient du small town cheap, qualifié le témoin Charles Guité de «charmant coquin» et dit qu'il regardait le meilleur spectacle en ville.

Jean Chrétien et plusieurs autres y avaient vu un indice du parti pris du commissaire contre eux. À mon avis, c'était simplement une erreur de parcours. Mais, quoi qu'il en soit, il a présenté ses excuses publiquement et, en 2008, un juge de la Cour fédérale a «annulé» des passages du rapport Gomery concernant MM. Chrétien et Pelletier pour cause d'apparence de partialité.

L'affaire est en appel. Mais, dans le milieu juridique, même ceux qui ne voyaient pas de motif d'annuler des conclusions sont d'avis qu'il a été imprudent dans ses commentaires publics.

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La seule controverse concernant le juge Bastarache, d'ailleurs, est celle qui a suivi une longue entrevue faite à un journal juridique après sa nomination. Il avait critiqué la tendance de la Cour suprême en matière de droit criminel et les décisions concernant les affaires indiennes, basées sur des concepts flous. Des groupes d'avocats de la défense et l'Assemblée des premières nations avaient porté plainte contre lui. Le Conseil canadien de la magistrature l'avait blanchi, mais lui avait tout de même prodigué un conseil amical : ses commentaires étaient «de nature à susciter la controverse» de manière assez prévisible. Or, il est «clairement préférable pour les juges de faire preuve de réserve quand ils parlent en public».

Comme Me Bastarache vient de redevenir un peu juge, il devrait méditer cette sage recommandation, histoire de protéger une commission d'enquête qui ne sera pas de tout repos...