Le juge Jacques Léger, de la Cour d'appel, a donc été avocat commercial des Hells Angels. Il n'y a rien d'illégal là-dedans. Mais est-ce qu'un avocat ayant représenté un membre du crime organisé peut être juge?

Ça dépend de quel genre de travail on parle. Il y a, à mon point de vue, une énorme différence entre la défense d'un accusé et la facilitation des activités commerciales légales de surface du crime organisé.

 

Défendre le coupable

Il est non seulement facile mais dangereux d'identifier les avocats à leurs clients. Or, les avocats qui défendent des criminels accusés jouent un rôle démocratique aussi indispensable... que difficile à accepter.

Michel Proulx, un des grands avocats de la défense de sa génération, a défendu toute la panoplie des accusés. Il a été nommé juge à la Cour d'appel et a écrit un traité sur l'éthique en droit criminel, dans lequel il a expliqué à merveille le rôle de l'avocat de la défense, qui est généralement de représenter des «coupables».

«L'avocat qui défend vigoureusement un accusé que l'on sait coupable envoie le message à la police et à l'accusation qu'il faudra une preuve honnête et complète pour obtenir une condamnation, et cela bénéficiera à tous les accusés», a-t-il écrit.

Le rôle de l'avocat de la défense n'est pas de juger par avance son client. Il est de mettre à l'épreuve légalement le travail de la police et de la Couronne.

Faisant cela pour des meurtriers, pour des violeurs, pour des voleurs, ou pour des motards, il se rend souvent impopulaire. Mais il force ainsi l'État à faire des accusations et des condamnations honnêtement. La noblesse de ce rôle n'est pas donc uniquement de défendre «le juste mis au rang des assassins». Mais de protéger indirectement les libertés civiles de tous en défendant d'authentiques criminels.

Évidemment, le public associe volontiers les avocats criminalistes à ceux qu'ils défendent. Pas toujours à tort, puisqu'il y a bel et bien des consiglieri du genre de celui qu'on voit dans Le Parrain, inféodés aux organisations. Il y a aussi, de temps en temps, quelques criminalistes qui se laissent tenter par l'argent facile et se retrouvent à leur tour accusés.

Cela devrait plutôt nous indiquer que les déviants sont plus faciles à épingler dans ce milieu. Ils sont en effet en face de la police et de la Couronne au quotidien et s'ils font un pas de travers, ça se sait assez vite. Ils sont sous haute surveillance.

Le commerce des Hells

Mais qu'en est-il des avocats d'affaires du crime organisé? Ceux qu'on ne voit jamais à la télé?

Je ne parle pas ici de ceux qui sont complices d'activités de blanchiment ou de fraude fiscale. Je parle de ceux qui font des choses parfaitement légales. Comme Jacques A. Léger, du temps qu'il était avocat chez Léger&Robic. Il était un des avocats les plus respectés en propriété intellectuelle au Canada - ce qui lui a valu d'être hautement recommandé pour la magistrature, encore qu'on l'attendait en Cour fédérale, pas en Cour d'appel.

Jusqu'à sa nomination comme juge en 2006, Me Léger avait comme client les Hells Angels de Montréal inc. Il était en lien avec un de leurs membres fondateurs, Robert Bonomo, actuellement accusé de 22 meurtres.

Il enregistrait des marques de commerce pour eux. Toute l'identité des Hells est enregistrée: l'aile avec une tête de mort, les logos, les noms dérivés, etc.

Toutes choses entièrement légales. Mais les Hells utilisent leurs marques de commerce dans leur stratégie d'intimidation et de recrutement. C'est indissociable de leur identité.

Un très subtile député néo-démocrate a dit à la Chambre des communes, jeudi, que le juge Léger avait des «liens» avec ces motards. Il n'en a pas du tout. Je suis convaincu qu'il réprouve toutes leurs activités et que, s'il devait les juger, il serait peut-être plus sévère que la moyenne.

Certes, il est évident qu'il n'a pas d'affaire à siéger mardi prochain dans une cause impliquant des Hells, et il est assez inconcevable qu'il ait fallu l'article de La Presse et l'intervention de son juge en chef pour le lui faire comprendre. S'il avait été avocat de GM, il aurait dû le dire également.

Le dire ou pas

Mais des «liens» ? Pas du tout. Le crime organisé a besoin de professionnels au-dessus de tout soupçon pour son commerce.

Or, il n'y a pas de droit fondamental à enregistrer une marque de commerce. Il n'y a aucune vertu sociale à ce qu'un avocat aide des criminels notoires, une organisation reconnue comme un gang criminel très officiellement, à faire leur business. On ne peut mettre sur le même pied ce genre de travail et celui du criminaliste.

Le choix de représenter les motards pour ce genre de choses est, pour moi, très douteux. Cela, du moins, mérite des explications au moment de poser sa candidature... à condition que ce soit su.

Mais si vous défendez le chef des motards devant la Cour, c'est très visible, tout le monde le sait. Si vous enregistrez des marques de commerce et donnez des conseils en droit commercial, ça ne se sait pas. Un candidat transparent devrait le déclarer, comme il est appelé à déclarer d'autres informations confidentielles à ceux qui l'évaluent.

Pour Jacques Léger, ce travail était administratif, technique, et il n'a même pas pensé à en parler, dit-il. Logique: s'il avait vu un problème à être un instrument juridique et commercial des Hells, il ne l'aurait pas fait.

Pour lui, c'était normal. Banal. Tout le problème est là: dans la banalité du geste.