Quand une chicane de cafétéria est glorifiée en terrible atteinte aux droits fondamentaux, c'est qu'il est temps de se poser des questions sur la pertinence du Tribunal des droits de la personne du Québec.

Le 15 avril, le Tribunal a condamné une éducatrice, un directeur d'école et la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys à payer 15 000 $ à la mère d'un jeune Philippin qui aurait été traité de manière xénophobe. La juge Michèle Rivet condamne même le directeur à verser 2000 $ à titre de dommages punitifs pour atteinte «intentionnelle» aux droits de cet enfant.

Tout ça pour quelques phrases maladroites.

En 2006, L., un enfant de 7 ans qui fréquente une école de Roxboro, a été réprimandé et déplacé pendant l'heure du midi à cause de sa manière de manger.

Selon la mère, c'est parce qu'on n'acceptait pas qu'il mange avec une cuiller et une fourchette, à la mode philippine. Selon l'éducatrice du service de garde, c'est parce qu'il s'empiffrait et laissait pendre ses spaghettis de sa bouche. La mère s'est plainte et, d'après elle, le directeur lui a dit que son fils mangeait comme un porc. Selon le directeur, c'est la mère qui lui a demandé s'il insinuait qu'il mangeait comme un porc, ce à quoi il aurait répondu que, s'il mangeait mal, il devait être déplacé.

Toujours d'après la mère, le directeur aurait également dit que, au Canada, il faut manger comme les Canadiens. Le directeur le nie.

L'affaire a pris des proportions formidables quand la mère a alerté le Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), lequel a alerté les médias, qui ont photographié l'enfant, etc. La mère a porté plainte à la Commission des droits de la personne (CDP).

Conclusion ? La CDP estime qu'il n'y a pas lieu de judiciariser l'affaire. Les versions sont contradictoires, et la seule chose à peu près certaine est que l'éducatrice a demandé à l'enfant si, dans son pays, on se lave les mains avant de manger.

Propos déplacés, sans doute, et empreints de préjugés. Mais il n'y a pas de quoi faire un procès. Tout ce beau monde aurait avantage à se parler et à régler à l'amiable, a dit la Commission. Sage recommandation que, malheureusement, on n'a pas suivie.

Voilà donc la mère qui décide de poursuivre elle-même le personnel et la Commission scolaire, malgré l'avis de la CDP.

Surprise : le Tribunal retient entièrement la version de la mère et rejette celle du directeur et de l'éducatrice. Les paroles étaient discriminatoires et il faut indemniser les victimes.

Le plus étonnant, vu la décision de la CDP, est que la juge Rivet conclut à une atteinte « intentionnelle » à cause de l'attitude du directeur, qui n'a exprimé aucun regret, qui a fait preuve d'un manque de considération « total » et qui n'a pas essayé de régler le conflit.

Les dommages punitifs sont pourtant réservés aux contrevenants de mauvaise foi, malintentionnés. Voilà qui semble bien sévère et, en fait, franchement déraisonnable.

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Cette décision arrive au moment où l'on fête le 20e anniversaire du Tribunal des droits de la personne... et où l'on s'interroge sur la pertinence des tribunaux semblables dans le reste du Canada.

Celui du Québec a l'avantage d'être présidé par un vrai juge de la Cour du Québec. Le juge est cependant assisté dans ses délibérations par deux «assesseurs» choisis en raison de leur expérience ou de leur expertise, de leur «sensibilisation» et de leur «intérêt marqués en matière des droits et libertés de la personne».

Il m'a toujours semblé qu'il y avait là une sorte de parti pris institutionnel, nonobstant la qualité de ceux qui y siègent. Autrement dit, une personne poursuivie pour discrimination pourrait raisonnablement sentir qu'elle commence son procès avec deux prises.

Ça ne veut pas dire que les décisions sont toutes favorables aux plaignants, il s'en faut de beaucoup - les statistiques ne l'indiquent nullement. Mais cela crée un environnement juridique très particulier.

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Au-delà de cette question d'apparence, il faut voir que le tribunal a été créé à une époque où la plupart des juges étaient encore réfractaires aux notions de droits fondamentaux. Certains avocats se faisaient dire à l'occasion par le juge : «Arrivez-moi pas encore ce matin avec votre charte!»

Les temps ont bien changé et on n'en est plus là. La Charte québécoise des droits de la personne a 35 ans, la canadienne, 28, et la jurisprudence est bien établie - notamment grâce à des décisions du Tribunal des droits de la personne.

Il n'y a plus lieu d'avoir un tribunal spécialisé. La Commission des droits devrait simplement plaider ses causes devant la Cour du Québec ou la Cour supérieure, selon les sommes réclamées. La culture des droits imprègne tous les tribunaux.

On ne peut pas dire, non plus, que les sujets soumis à ce tribunal soient tellement plus pressants que toutes sortes d'autres qui sont devant les tribunaux de droit commun, comme les erreurs médicales, par exemple.

Bref, on devrait prendre acte de la jurisprudence de ce tribunal, qui a rendu plusieurs jugements majeurs, le remercier pour sa contribution à l'avancement du droit... et faire confiance à la magistrature «ordinaire» pour l'avenir.