La mémoire est une faculté affaiblie, disait Alfonso Gagliano avant de devenir vigneron.

Pourquoi je pense à Gagliano, déjà ? Ah oui, c'est à cause des commissions d'enquête. On oublie tellement vite. On demande une commission d'enquête, on en demande une deuxième, puis une autre, et à la fin on oublie sur quoi.

J'ai comme l'impression que la surabondance des sujets de commission sera l'alibi pour n'en tenir aucune - sauf celle très pointue du commissaire Bastarache.

Trop gros, trop touffu...

Vous souvenez-vous que la Ville de Montréal a adopté une résolution UNANIME au mois de décembre pour réclamer une commission d'enquête sur l'attribution des contrats à la Ville ? Une ville qui réclame au gouvernement une enquête sur elle-même, c'est tout de même spectaculaire. Mais on oublie.

On en a demandé une sur les pratiques syndicales dans l'industrie de la construction, une autre sur la collusion (huit firmes qui raflent 75 % des contrats à Laval, par exemple), une autre sur les contrats du ministère des Transports, une sur les contrats dans les villes...

J'ai été un des premiers à dire qu'il faudrait une commission Cliche (sur la construction) pour notre temps. J'y crois encore. Mais il va falloir recentrer le propos.

Il y a tout de même ce point de convergence : le financement des partis politiques.

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La semaine dernière, une députée péquiste a dit que le fait que l'avocat Pierre Cimon ait donné quelques centaines de dollars par année au Parti libéral du Québec créait une apparence de partialité parce qu'il devait être procureur de la commission Bastarache.

«Si au moins il avait donné à deux partis», a-t-elle ajouté.

Voilà qui semble logique, en effet. Si je donne à un parti, je suis partial ; je donne à deux, j'équilibre, je suis impartial.

Cette petite phrase en apparence anodine est à elle seule un lapsus politique. Du même ordre que ceux des ministres du cabinet Charest qui ont admis que les entreprises fournissaient aux caisses des partis politiques.

Car en effet, quelle espèce de bête politique donne à deux partis en même temps ? Un schizophrène idéologique ? Mais non, voyons. Donner à deux partis adversaires est un geste de totale indifférence politique. C'est par intérêt commercial qu'on le fait.

Tu donnes au parti au pouvoir, mais aussi à l'opposition, pour être en bons termes quand l'inévitable changement de gouvernement arrivera.

Faut-il préférer la putasserie à la partialité ? La question est posée.

Au fait, quelle personne peut bien donner au PQ et au PLQ en même temps ? Une personne morale, évidemment. Tout le monde le sait, les entreprises versent des sommes colossales aux partis politiques du Québec.

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En juillet 2007, le stratagème que tout le monde nie a été exposé on ne peut plus candidement dans un jugement de la Cour d'appel.

L'affaire est celle d'un dénommé Jean-Guy Bernier, ingénieur. Le fisc lui réclamait de l'impôt sur une somme de 5000 $ que lui avait versée son employeur de l'époque, la firme Tecsult, pour des dons politiques. M. Bernier, en 1994, avait donné 3000 $ au PQ et 2000 $ au PLQ.

Il contestait la cotisation puisqu'il ne s'agissait pas de revenus, mais simplement d'argent que Tecsult lui disait de verser à des partis politiques. Il a perdu sa cause en Cour du Québec car, légalement, les dons politiques sont personnels, même s'ils sont remboursés par l'employeur.

En 2007, par contre, M. Bernier a eu gain de cause en Cour d'appel.

L'intérêt de l'affaire est plutôt dans le témoignage de l'ex-président de Tecsult, Guy Fournier : «Je déterminais, là, à mon bureau, le nombre de personnes, des cadres principalement autour de moi, à qui je pourrais demander de faire des contributions politiques pour maintenir notre bonne réputation vis-à-vis les donneurs d'ouvrage et aussi, principalement, pour être considérés dans les contrats futurs.»

C'est aussi clair que ça. Prendre de l'argent de l'entreprise et le déguiser en dons personnels dans l'unique but d'être considéré pour obtenir des contrats des gouvernements.

Bon an, mal an, entre 30 et 40 cadres acceptaient de jouer le jeu. L'idée étant que les bonnes relations avec les «donneurs d'ouvrage» leur apparaissaient nécessaires à la croissance et à la survie de la firme.

Oh, bien sûr, le PQ comme le PLQ ont dit qu'ils ne savaient rien de ces stratagèmes. Bernard Landry m'a même appelé un matin après que j'eus écrit sur cette histoire, en 2005, pour me dire que ce Fournier était un imbécile ou un menteur, car les contrats ne s'obtiennent au Québec que par appel d'offres transparent, etc.

M'est avis qu'il y a un très grand nombre de cette sorte d'imbécile à succès dans le domaine du génie-conseil, de la construction et des bureaux de professionnels.

En 2007, quand Le Soleil a parlé du jugement d'appel, le porte-parole du PQ n'en avait jamais entendu parler. C'est fou comme on oublie. On oublie tout de tout.

J'étais donc content de voir Mme Marois avec son foulard blanc, en compagnie d'Amir Khadir et d'autres, réclamer une commission d'enquête sur l'industrie de la construction et le financement de TOUS les partis politiques, pas seulement le Parti libéral.

Où ont-ils pris cette idée de foulard blanc, au fait ? En France, les Foulards blancs sont une troupe de scouts qui se dévouent aux malades en pèlerinage à Lourdes en quête de guérison miraculeuse...