La semaine dernière, Jordan Romero est arrivé au sommet de l'Everest. Il a pris son téléphone satellite et aussitôt appelé sa mère. «Maman, je t'appelle du sommet du monde!»

Jordan Romero a 13 ans. Il est le plus jeune être humain à réussir l'exploit. Si jeune qu'il a dû faire l'ascension par le Tibet, le Népal ayant fixé à 16 ans l'âge minimum. À ce qu'il paraît, le passage tibétain est encore plus dangereux, mais bon, c'était le rêve de Jordan!

«J'ai toujours voulu faire ça avant de mourir», a dit l'adolescent aux journalistes.

Toujours? Eh bien. Tout est relatif. Il arrive aux enfants de 6 ans de dire «quand j'étais petit».

À 9 ans, Jordan a vu une carte des plus hauts sommets sur les sept continents et a décidé qu'il les grimperait tous.

«Son père a été assez étonné, mais a trouvé que c'était une excellente idée», peut-on lire sur le site de l'aventurier.

Je sais bien qu'il ne faut pas tuer les rêves des enfants, ni assassiner Mozart. Mais j'essaie d'imaginer mon fils venir me voir avec une idée pareille à 9 ans - ou à 13.

«Papa! Je veux faire le tour du monde en ballon!»

Hé! Super bonne idée! Quand tu seras grand, tu t'achèteras une montgolfière, même que si t'es ingénieur en aéronautique, tu la fabriqueras toi-même, et on va tous être là pour le départ! Bon, va faire tes devoirs.

Des fois je me trouve vraiment plate.

Heureusement pour lui, Jordan a un papa formidablement ouvert d'esprit. Paul Romero, 41 ans, est un «paramedic» spécialisé dans les soins d'urgence en altitude. Il a immédiatement appuyé le projet de son fils.

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Ah, j'en entends qui disent que dans le fond, c'était le rêve du père. Eh bien non: «Ce n'était pas mon idée, il a fourni l'inspiration et la motivation, il nous a amenés dans sa quête des sept sommets et nous avons seulement facilité ses désirs», dit Paul Romero.

Tu parles, s'il les a amenés! À 10 ans, on le retrouve sur le toit de l'Afrique, au Kilimandjaro. À 11 ans, c'est l'Aconcagua, plus haut sommet d'Amérique du Sud, mais aussi le glacial Denali, en Alaska.

Avec l'Everest, il ne lui en reste qu'un, le mont Vinson, en Antarctique.

Son père et sa nouvelle conjointe l'accompagnent chaque fois. Mais c'est le rêve de Jordan!

D'ailleurs, Jordan explique sur son site qu'il est un ado comme les autres. «Je veux seulement montrer aux enfants comment être en santé; aller dehors, faire de l'exercice et bien choisir la nourriture et les boissons qu'ils mettent dans leur bouche.»

Je ne veux pas me mêler de leurs projets familiaux, mais d'après moi, le message est déjà bien passé. Pas besoin d'aller en Antarctique (prévu en décembre).

Au fait, je ne vois pas en quoi voir un ado accomplir l'impossible et l'inaccessible encourage les autres à faire de l'exercice ou à mieux manger. Mais on ne peut plus faire d'exploits sans raison, de nos jours. Il faut une cause, il faut le faire pour quelqu'un d'autre.

Il semble qu'il y ait, un peu partout en Occident, des adolescents manifestement en moyens qui tentent de battre des records du plus jeune à faire ceci ou cela. Un juge aux Pays-Bas a interdit l'an dernier à une adolescente de 13 ans de partir en solo dans un voilier de 26 pieds pour faire le tour du monde pendant deux ans.

Il y a bien sûr la question des risques. Depuis 2000, 1,5% des alpinistes sont morts sur l'Everest. Il ne suffit pas d'avoir les capacités physiques de le faire (Jordan fait tout de même 5'10', 160 livres). Encore faut-il avoir l'âge requis pour prendre les risques en son propre nom, ce qui n'est manifestement pas le cas à 13 ans.

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Mais ce n'est pas ce qui me frappe le plus dans cette histoire. J'y vois le symptôme poussé à l'absurde d'un phénomène plus généralisé: le surinvestissement parental.

Dans une société où les gens ont plus de moyens et moins d'enfants que jamais, l'idée de se consacrer à leurs rêves, réels ou appréhendés, prend des proportions inégalées. La tentation de faire partie de leur propre aventure aussi.

Entre le soutien actif, l'encouragement et la projection dans le rêve de son enfant, il n'y a pas une montagne. Juste une ligne qu'on est généralement les derniers à voir.

À un moment donné, tu te retrouves en haut de l'Everest avec un enfant de 13 ans et tu dis à la terre entière: c'était son idée, c'est lui qui nous a amenés ici!

Et tu te crois.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca