Il n'y a pas de nouveau fait dans le rapport Oliphant: on voit mal comment une commission d'enquête ayant siégé en public pourrait arriver avec une histoire nouvelle.

Ce qu'il y a de nouveau, c'est que Brian Mulroney est très officiellement et très sévèrement blâmé pour sa conduite après son départ du 24, Sussex.

 

Jean Chrétien a été blâmé par le juge Gomery en 2005 comme ultime responsable du programme de commandites. Mais Brian Mulroney, lui, voit sa version des faits sur les points majeurs rejetée et son éthique personnelle directement attaquée.

Le juge Jeffrey Oliphant va jusqu'à dire qu'une partie centrale du témoignage de Brian Mulroney est «manifestement absurde».

Longtemps, souvent, M. Mulroney a menti sur sa relation avec Karlheinz Schreiber. Tout ça lui est renvoyé au visage page après page.

Certes, M. Mulroney n'était plus premier ministre, en août 1993, quand il a rencontré Karlheinz Schreiber dans une chambre d'hôtel à Mirabel, pour se faire remettre en espèces «au moins» 75 000$. Ni lors des deux autres versements en espèces. Mais on peut s'attendre d'un ancien premier ministre à un haut degré de probité, selon les normes établies par M. Mulroney lui-même il y a 25 ans.

Transiger avec un lobbyiste comme Schreiber, le faire en comptant et dissimuler ces transactions est «inacceptable», dit le juge Oliphant.

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Toute la théorie juridique de Brian Mulroney s'effondre. Ce n'est pas parce qu'il est redevenu citoyen privé qu'il peut transiger avec n'importe qui, n'importe comment. Une transaction en argent comptant n'est pas illégale en soi. Mais même si elle est «légale», elle peut être contraire à l'éthique. Ce n'est pas non plus parce que Schreiber, escroc reconnu et emprisonné, a menti et exagéré à qui mieux-mieux que Brian Mulroney dit toujours la vérité.

Le juge Oliphant n'accepte pas du tout la théorie de la «grave erreur de jugement», présentée par M. Mulroney. Si accepter au moins 75 000$ en comptant dans une chambre d'hôtel en août 1993 est une grave erreur de jugement, le faire encore deux fois sur un an et demi devient «douteux». M. Mulroney a tout fait pour dissimuler ces transactions: pas de reçu, pas de trace dans sa compagnie personnelle, pas de dépôt bancaire. Une absence totale et voulue de traces qui «me préoccupe grandement», écrit le juge Oliphant.

Si l'on avait su qu'il transigeait avec Schreiber neuf semaines après avoir quitté son poste, cela aurait soulevé des «questions légitimes». Bel euphémisme!

Finalement, le commissaire n'est pas même capable de dire à quoi a servi l'argent versé par Schreiber. Celui-ci dit que c'était pour faire la promotion d'une usine de chars allemands au Canada. Le juge ne le croit pas. Il retient que la seule possibilité est que ce fut pour faire des démarches à l'international. Mais le juge est très sceptique quant aux déclarations de M. Mulroney sur ses conversations avec des grands de ce monde (Eltsine, Mitterrand, etc.), tous morts. Pourquoi ces versements? Le mystère est entier.

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Le plus pénible pour Brian Mulroney, cependant, est peut-être ce que le juge Oliphant dit de son témoignage rendu en 1996. M. Mulroney avait poursuivi le gouvernement fédéral pour atteinte à sa réputation, à cause d'une lettre de la GRC envoyée confidentiellement aux autorités suisses pour enquêter sur des comptes en banque au sujet de possibles pots-de-vin versés pour l'achat d'avions Airbus par Air Canada, en 1988.

Dans ce témoignage préparatoire, M. Mulroney avait minimisé ses contacts avec Schreiber et prétendu n'avoir jamais fait affaire avec lui. À ce moment-là, pourtant, 150 000$ en espèces versées par Schreiber dormaient dans un coffre-fort chez M. Mulroney.

M. Mulroney a expliqué au commissaire qu'on lui a mal posé la question. Voilà qui est «manifestement absurde», dit le commissaire. C'est la réponse qui posait problème: il a omis de divulguer la vraie nature de sa relation avec Schreiber.

Or, sous serment, un témoin doit dire «toute la vérité». Une commission d'enquête ne peut trouver de responsabilité civile ou criminelle envers personne et le commissaire se garde bien de prononcer le mot «parjure» ou même de recommander quoi que ce soit à ce sujet. Mais comment appeler le témoignage clairement incomplet, et donc trompeur, d'une personne au sujet de transactions douteuses qu'elle s'est employée à dissimuler? Une «grave erreur de jugement», encore?

M. Mulroney espérait sans doute que ses états de service l'aident un peu et que la mauvaise réputation de Schreiber le dédouane. L'homme d'affaires germano-canadien est après tout une crapule reconnue, en prison en Allemagne. Mais ça n'aide en rien Brian Mulroney, qui sort encore plus meurtri de ce rapport. Un rapport qui laisse bien des questions en suspens. Mais qui est sans appel.