Démission du procureur-chef, défection du témoin principal, attaques des partis de l'opposition...

Si au moins on pouvait dire que ça commence mal. Ce n'est même pas commencé!

D'ordinaire, même les plus controversées des commissions d'enquête finissent par concentrer l'attention publique sur le sujet à l'étude, pas sur elles-mêmes! La commission Bastarache en sortira-t-elle?

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Hier, le commissaire Michel Bastarache a refusé le statut de participant à l'opposition officielle et l'a accordé au Parti libéral du Québec.

 

Il ne fait pas de doute que le PLQ, directement mis en cause par les allégations de Marc Bellemare, doit pouvoir être représenté devant la Commission. Quant au PQ, il n'en était pas question avant que le commissaire annonce qu'il étendrait son mandat jusqu'à l'année 2000. De 2000 à 2003, le PQ était au pouvoir.

C'est sans doute une bonne idée de regarder ce qui se passait avant, pour voir s'il y a eu un changement à l'arrivée au pouvoir du PLQ. Mais dans ce cas, le Parti québécois a un intérêt assez clair dans le débat. Faut-il donc lui permettre d'avoir un avocat pendant tous les débats?

La référence pour ce genre de question est l'enquête du juge O'Connor sur la tragédie de l'eau contaminée à Walkerton. Le NPD ontarien avait demandé le statut d'intervenant puisque le gouvernement conservateur de Mike Harris, lui, était représenté. Le juge O'Connor avait refusé: «Il n'est généralement pas souhaitable de permettre aux partis politiques d'utiliser les commissions publiques d'enquête pour promouvoir leurs orientations ou leur politique.» Il leur reste toujours le Parlement. Le gouvernement, lui, représente toute l'administration publique.

Et puis, il faut limiter le nombre de participants à une enquête, sinon on n'en finirait plus.

Le juge Gomery (comme le juge Bastarache hier) avait cité cette décision lorsqu'il avait refusé le statut de participants au Parti conservateur et au Bloc québécois. Il leur avait toutefois permis d'être «intervenants», un statut intermédiaire. Ils pouvaient envoyer un avocat assister aux débats et suggérer des questions aux procureurs, puis plaider lors des recommandations. Mais ils ne pouvaient interroger les témoins.

Dans la même logique, pourquoi le Parti québécois ne serait-il pas à tout le moins «intervenant» dans les parties qui le concerneront?

Viendra, viendra pas

Pendant ce temps, Marc Bellemare est en train de se discréditer à force de faire du magasinage institutionnel. Pensez donc: il veut témoigner devant une commission parlementaire partisane mais trouve le juge Bastarache partial! Difficile à suivre. Serait-ce qu'il préfère être interrogé par un député inexpérimenté plutôt que par un procureur aguerri? Pour un chevalier sans peur et sans reproche, ça manque un peu de panache, tout à coup.

S'il conteste l'assignation à comparaître devant cette commission, il le sait, il n'a pas la moindre chance d'obtenir gain de cause. Aucun juge de la Cour supérieure n'ira dire qu'il a des motifs de ne pas se présenter devant cet ancien juge de la Cour suprême, quels que soient les mérites de sa commission.

Une commission politique? Assurément. Toutes les commissions d'enquête sont créées pour des motifs politiques, quand un gouvernement est plus ou moins forcé de vider un abcès - ou de créer une diversion.

Certes, Jean Charest a créé une commission d'enquête non pas pour répondre à une crise dans les affaires publiques, mais pour contre-attaquer un adversaire.

Vrai aussi, le premier ministre a été très malavisé de personnaliser le débat en intentant immédiatement une poursuite pour atteinte à sa réputation contre son ancien ministre. Il a donné un tour vindicatif à cette commission, qu'il le veuille ou non. Rien ne pressait.

Pour couronner le tout, le premier ministre a lui-même annoncé la création de cette commission en présence du ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, venu dire qu'il avait appelé lui-même le juge Bastarache puisqu'il le connaît. Quel rapport? C'est à la ministre de la Justice de nommer ce commissaire. Elle a eu l'air d'une figurante, ce jour-là.

Tout cela a fait mal naître cette commission d'enquête, qui, de plus, porte sur un sujet certes important, mais absolument pas à l'état critique.

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«Piège à cons», alors? Piège un peu, oui. Mais pas seulement pour Marc Bellemare. Jean Charest n'a rien réglé encore.

Mais dire, comme Marc Bellemare, que le juge Bastarache ne mordra pas «la main qui le nourrit», c'est parfaitement ridicule. Toutes les commissions sont nommées par un gouvernement, toutes sont payées par un gouvernement. Si quelqu'un pense que Michel Bastarache va s'enrichir en présidant cette commission, il n'a pas magasiné d'avocat chez Heenan Blaikie récemment.

C'est en outre franchement gratuit d'attaquer l'indépendance de Michel Bastarache parce que 100 des associés de son cabinet ont donné au PLQ. Faites le tour des grands bureaux et trouvez-en un où il n'y a pas des étages entiers de donateurs enthousiastes.

Donc, s'il refuse de témoigner, Marc Bellemare se le fera ordonner. Des délais? La question des assignations à comparaître est archiconnue et se règle en 15 minutes. Faudra trouver mieux.

S'il refuse encore, il peut toujours jouer les martyrs et se faire condamner pour outrage au tribunal, avec en prime une amende ou, pourquoi pas, un emprisonnement. Mauvaise idée pour un avocat.

En résumé, même si tout cela se passe sur un fond politique trop évident, même si elle est attaquée de toutes parts, la commission a un statut juridique valide et Marc Bellemare ne peut pas s'esquiver.

Mais une commission d'enquête doit être davantage que légale si elle veut être utile. Elle doit affirmer sa pertinence par ses actions, rallier un tant soit peu. Là-dessus, on est dans l'expectative.