Rarement, sinon jamais, une commission d'enquête aura-t-elle commencé ses travaux avec si peu d'appui dans l'opinion publique.

D'ordinaire, les commissions d'enquête sont déclenchées pour répondre à une sorte d'urgence, pour désamorcer ou décortiquer un scandale. En partant, donc, elles jouissent à tout le moins d'une grande curiosité publique. Que ce soit celle sur le crime organisé dans les années 70 ou celle sur les commandites, elles démarrent d'ordinaire leurs travaux avec un taux de sympathie satisfaisant, malgré les critiques. On leur reproche plutôt leur désir de faire du spectacle aux dépens des témoins.

Dans le cas de la commission Bastarache, une majorité de répondants n'a que très peu ou aucunement confiance en elle. Ce n'est pas si étonnant. Cette commission n'est pas la réponse à une crise publique. Personne dans les autobus ne se bagarre au sujet du processus de nomination des juges. C'est essentiellement une riposte du gouvernement Charest aux attaques de son ancien et éphémère ministre de la Justice.

Depuis, Marc Bellemare a multiplié les attaques contre la commission et son personnel. Quand les défenseurs sont les membres d'un gouvernement discrédité, il ne faut pas s'attendre à des miracles.

Malgré tout, on observe que 63% des gens estiment que Marc Bellemare doit s'y présenter. Contradictoire? Pas nécessairement. On peut estimer que cette commission n'avait pas à être créée, tout en jugeant que le citoyen-dénonciateur Bellemare est obligé de s'y présenter maintenant qu'elle est créée.

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Que sortira-t-il de cette commission? On le sait moins encore que d'habitude. La commission Gomery était précédée d'une enquête de la Vérificatrice générale qui dressait un portrait général du scandale des commandites. Il restait à éclaircir les mécanismes, identifier quelques coquins et responsables.

Mais ici? On «sait» que les nominations de juges sont teintées politiquement, ou du moins qu'il y a généralement une sorte de généalogie politique, un parrainage. On «sait» aussi que les candidats passent à travers un processus de sélection pour démontrer leur compétence.

Les répondants semblent d'avis que la connexion politique prime sur la compétence. Mais le sondage révèle en même temps une (rare) bonne nouvelle pour la magistrature: les deux tiers des répondants estiment le «rendement» des magistrats québécois bon ou excellent.

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Je repose donc ma question: que va-t-on trouver dans cette commission, à propos de juges généralement inconnus, à commencer par les trois que Marc Bellemare dit avoir nommés sous la pression de financiers libéraux?

On sait que les trois derniers premiers ministres du Québec seront convoqués à la barre - Jean Charest, bien sûr, mais aussi Lucien Bouchard et Bernard Landry.

Si Jean Chrétien a été capable de lancer des balles de golf au juge Gomery, pour ainsi dire, que feront ces politiciens qui n'ont pas l'habitude de se laisser piler sur les orteils en disant merci?

Comme on examinera les nominations des 10 dernières années à la Cour du Québec, dans les cours municipales et dans les tribunaux administratifs, on peut penser que le portrait sera généralement positif. On pourra démontrer la compétence générale et individuelle des juges nommés.

Mais une commission d'enquête ne s'intéresse pas tellement aux choses «en général». Qui se souvient des premières phrases du rapport Gomery? John Gomery y parle de l'intégrité et de la compétence remarquables de la fonction publique fédérale. Il souligne que le scandale des commandites ne concerne qu'une portion minuscule des dépenses du gouvernement et que, somme toute, cette aberration confirme la règle voulant que la fonction publique soit honnête...

Non, ces vérités générales ont été balayées, évidemment, puisqu'il s'agissait d'examiner l'administration pourrie d'un programme bien particulier.

De même, il n'est pas possible d'examiner les nominations de juges depuis 10 ans sans trouver des cas évidents de choix largement politiques. C'est évidemment cette chasse qui risque de retenir l'attention, bien au-delà des cas cités par Marc Bellemare.

On aura beau faire toutes les nuances imaginables, le but de cette commission est de braquer les projecteurs sur le système et ses dysfonctions. On ne trouvera sans doute personne qui a acheté sa place. Mais sans doute trouvera-t-on certains qui sont passés dans le haut de la liste avec une petite poussée politique. Si on en trouve un rouge, il faudra en faire sortir un bleu... Et ainsi de suite. Voyez le style?

C'est pourquoi le sujet est explosif. C'est pourquoi, si elle est mal menée, cette commission par sa seule existence peut causer des dommages collatéraux considérables à l'appareil judiciaire, qui sera dans une position de vulnérabilité constante. Les occasions d'attaques et de contre-attaques entre le PQ et le PLQ seront innombrables et les juges visés pourront difficilement se défendre.

Pour être optimiste, on peut espérer que l'opération aboutisse à une meilleure dépolitisation des nominations qui, même si elle n'est pas une urgence nationale, est à notre portée et souhaitable.

Mais ce matin, pour être optimiste, il faut se forcer un peu. Le juge Bastarache s'est fait remettre entre les mains de la nitroglycérine institutionnelle...