Aux Francs-Tireurs, cette semaine, c'était au tour de Pierre Curzi d'ajouter à la lamentation nationale: on a «évacué» du Canadien la valeur identitaire, dit-il.

Il n'y a en effet que deux, trois francophones dans l'équipe, elle qui dans ses années glorieuses en comptait une bonne douzaine, et généralement les meilleurs de la ligue.

Pour le député Curzi, «ce n'est pas un hasard». Les propriétaires de l'équipe, fédéralistes, ne souhaitent pas que l'équipe soit un trop encombrant symbole nationaliste, d'où cette disparition qui n'a rien d'innocente ou d'accidentelle, selon lui.

C'est en fait rien de moins qu'une «prise de possession du pouvoir fédéral sur le Canadien», dit Pierre Curzi.

Des économistes ont déjà démontré que les joueurs francophones «surperforment» par rapport à leur rang de repêchage. Autrement dit, ils sont systématiquement sous-évalués par les équipes de la Ligue nationale, ce qui confirme les préjugés qu'on entend chuchoter chez les gens de hockey, ou vociférés par les Don Cherry de ce monde. La discrimination existe.

Si une équipe est bien placée pour combattre les préjugés et voir ce que les autres ne voient pas dans les jeunes joueurs du Québec, c'est bien le Canadien. À ce chapitre, l'équipe faillit lamentablement.

Entre cette indifférence/incompétence et un plan de dénationalisation de «notre» équipe, il n'y a qu'un pas que le député Curzi franchit avec ses deux sabots.

Il a tort.

Un vrai bon plan machiavélique fédéraliste consisterait à paqueter le club de hockey d'indigènes pour divertir le peuple, manufacturer un sentiment national et engranger des profits en anglais, hé, hé, hé.

Le voilà, le plan!

C'est exactement sur cette base qu'a été conçu le premier succès commercial du Canadien dans les années 1920: créer une rivalité entre l'équipe des Français et celle des Anglais, les Maroons.

Après la disparition de l'équipe anglaise, le Canadien est demeuré l'équipe des «Canayens», comme disaient nos pères. Mais elle comptait plein de vedettes anglophones. Le Forum voyait se rassembler autant les wasps que les juifs, les pure laine et tout ce qui faisait le Montréal du temps.

Pendant que le peuple adorait Maurice Richard, on le sait maintenant, les propriétaires de l'époque l'exploitaient. Ils n'étaient pas moins ou plus fédéralistes.

Dans les années 1970, les dernières vraiment glorieuses, on voyait à l'oeuvre une équipe qui était en partie le fruit d'une règle aux relents colonialistes: jusqu'à la fin des années 1960, le Canadien avait droit au premier choix au repêchage québécois.

Les meilleurs Québécois appartenaient d'office à «leur» équipe, avec laquelle ils rêvaient naturellement de jouer. Tout ça pour le plus grand plaisir des amateurs. Mais dans une forme d'asservissement très doux.

Aujourd'hui, les meilleurs joueurs, d'où qu'ils viennent, sont libres de se vendre au plus offrant, ce qu'ils ne manquent pas de faire.

Lequel de ces deux modèles est-il préférable d'un point de vue nationaliste? Celui d'un libre marché où les enfants du Québec, quand ils sont les meilleurs au monde, se font payer comme tels, ou celui d'une sorte de chasse gardée qui les garde à la maison, pour notre amusement et notre fierté, mais à leurs dépens?

Ce n'est pas le signe d'un peuple très émancipé que de se trouver des modèles essentiellement dans une équipe sportive. On n'en est heureusement plus là. Il y a des gens d'ici qui sont les meilleurs au monde dans autre chose aussi. On a le choix!

C'est ce qu'il y a de tellement agaçant avec cette fixation, très générationnelle, sur les années de Maurice Richard ou de Guy Lafleur. En plus du fait qu'on se réfère à une époque où le Canada fournissait 90% des joueurs de hockey de la ligue (à peine 50% maintenant), on glorifie involontairement un modèle économique où les francophones étaient dominés, exploités.

L'arrivée de «nouveaux» Nordiques mettrait de la pression sur le Canadien mais ne changerait pas fondamentalement la donne.

Le Canadien a tout de même commis deux fautes difficilement pardonnables. D'abord, ne pas être la meilleure équipe pour trouver le talent québécois. Ensuite, ne pas avoir montréalisé ses joueurs, venus de partout dans le monde. Je veux dire convaincre quelques figures de proue d'avoir la courtoisie élémentaire de parler un français fonctionnel. De montrer qu'ils savent où ils sont sur cette planète.

Remarquez, les joueurs sont comme ils sont, c'est-à-dire pas très curieux, et surtout pas politiques. On ne peut pas donner des injections de curiosité à un mercenaire qui est ici comme il jouerait à Columbus, Ohio. Quant aux joueurs québécois, songez que dans son discours d'entrée au Temple de la renommée, le grand Mario Lemieux n'a pas dit un mot en français.

Sans doute vaut-il mieux concentrer notre sentiment national sur d'autres objets que le hockey, sauf le respect qu'on doit au Rocket.

S'il réussit encore à unir une ville très diverse de temps en temps dans une émotion commune, il aura accompli beaucoup.