À entendre le discours officiel de la magistrature, on pourrait croire que ce sont les cigognes qui amènent les juges à la porte des palais de justice.



L'huissier sort de bon matin pour aller fumer une cigarette et qu'est-ce qu'il aperçoit? Un juge tout frais, emmailloté de rouge et de noir. Il le fait entrer, et hop, le voilà qui siège et rend la justice!



C'est comme ça qu'on fait des juges, les enfants.

Les représentants officiels des juges et du barreau ont tellement peur de voir ternie l'image de la justice qu'ils ne concèdent jamais en public l'existence d'une quelconque influence politique dans le processus de nomination.

Ils insistent sur le sérieux de la sélection par un comité indépendant qui remet une courte liste au ministre responsable de recommander une nomination. Certes, la liste varie en longueur, oui, dans cette liste les préférences politiques peuvent jouer. Mais n'en parlons surtout pas!

En privé, évidemment, plusieurs d'entre eux sont des experts de la généalogie judiciaire: oui, untel, il pratiquait avec le ministre Machin, etc.

Quel plaisir ai-je eu, donc, d'entendre l'ancienne juge en chef de la Cour du Québec nommer franchement les choses la semaine dernière à la commission Bastarache.

Oui, les juges choisis sont compétents. Oui, il existe un processus de filtrage sérieux.

Mais il y a une «zone grise» où s'insinue le politique, dit-elle. Les «critères ou influences bonnes ou mauvaises qui guident un ministre de la Justice dans le choix d'un candidat plutôt que d'un autre» sont arbitraires, a-t-elle déclaré.

Il n'y a là rien de révolutionnaire ou d'original. Mais c'est une des premières fois qu'un membre éminent de la magistrature accepte de faire publiquement ce simple constat. Sans renverser la table, sans crier au scandale. En défendant la qualité de la Cour du Québec. Mais en disant au fond: arrêtons de dire que tout est parfait. Ce système doit être amélioré, le fruit est mûr.

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Car une fois les allégations de Marc Bellemare examinées, il restera à cette commission d'enquête la tâche de dire s'il convient de demeurer dans un système pas trop mal, mieux qu'avant, avec ses zones grises... ou s'il est temps de changer de siècle.

Avant même que les experts viennent donner leur opinion, la commission a reçu et publié (cepnj.gouv.qc.ca) quatre études sur la question. La plus éclairante est celle d'un politologue de l'Université Lethbridge, en Alberta, Peter McCormick, autorité en la matière.

L'auteur passe en revue tous les processus de nomination dans les provinces canadiennes, aux États-Unis, au Royaume-Uni et, brièvement, en Europe.

On remarque que si le Québec s'est doté d'un comité de sélection des juges (sous le PQ, en 1979) afin de dépolitiser ces nominations, d'autres provinces sont allées beaucoup plus loin depuis.

Au Québec, les comités de sélection sont composés d'un juge (désigné par la Cour du Québec), d'un avocat désigné par le Barreau et d'une personne du public nommée par le ministre de la Justice.

Les autres provinces ont des comités comprenant beaucoup plus de membres - jusqu'à 13 en Ontario. Cela a l'avantage de diversifier les points de vue et d'empêcher qu'une seule personne domine le groupe. Évidemment, quand on nomme une dizaine de juges par année, il est plus compliqué de réunir 13 membres que trois. Rien n'est parfait.

C'est pourquoi en Ontario, les membres sont nommés pour une durée de trois ans, afin qu'on n'ait pas à recomposer le groupe chaque fois.

Plus important: la liste.

Au Québec, la liste de candidats «aptes» peut comporter un nombre indéterminé de noms. Trois, cinq, huit... Marc Bellemare a d'ailleurs dit qu'il n'y en avait pas assez!

Au Manitoba, c'est entre trois et six. En Ontario... deux. Et avec un ordre de préférence. Voilà qui s'appelle éliminer la zone grise!

Pourquoi en effet déranger autant de gens si c'est pour se contenter de dresser une interminable liste? Si le comité est là pour sélectionner, qu'il sélectionne!

Certes, comme l'ont dit d'autres experts mandatés par la commission, il n'est pas possible scientifiquement de trouver LE meilleur candidat dans l'absolu. Mais le but de ces comités est de restreindre au minimum, voire à zéro, l'influence politique.

Au Royaume-Uni, la commission de nominations créée en 2006 choisit carrément les candidats. Le ministre de la Justice (Lord Chancellor) peut les rejeter, mais doit s'en expliquer. C'est arrivé une seule fois, en 2008, et à la fin, le candidat choisi a été nommé.

En conclusion, le professeur McCormick énumère une série de critères pour créer un processus de nomination idéal, duquel je retiens celui-ci: une liste qui classe les meilleurs candidats est mieux qu'une courte liste... Mais mieux vaut encore un système qui sélectionne UN candidat.

Dans la mesure où le comité est bien composé, voilà la façon de dépolitiser le système définitivement. On n'aura pas pour autant le juge idéal. Mais celui-là aura été choisi sans aucune ingérence due ou indue. Et cela sera très officiellement connu par le public... comme pour les organisateurs politiques, qui pourront jeter leur dévolu sur d'autres sujets.

J'ai hâte de voir si la commission osera aller jusqu'à cette liste... à un nom.