Dans toutes les commissions d'enquête de l'avenir, on clouera sur le mur du bureau des commissaires un écriteau qui dira: «Vous êtes instamment prié de vous la fermer.»

C'est le résultat concret du jugement rendu mercredi par la Cour fédérale d'appel, dans lequel elle annule le blâme formulé contre Jean Chrétien dans le rapport Gomery.

Ce rapport raconte sur des centaines de pages le scandale des commandites... Mais ce scandale flotte maintenant dans les airs, accroché aux nuages. Il n'y a plus aucun responsable.

Il ne reste qu'une série d'exécutants et de profiteurs, dont certains ont été condamnés. Le juge Gomery, dans son rapport, avait blâmé le premier ministre Chrétien et son chef de cabinet, Jean Pelletier. M. Chrétien pour avoir laissé aller un programme dont on lui avait dit qu'il n'était pas du tout balisé. Et M. Pelletier pour avoir accepté que Chuck Guité, fonctionnaire corrompu qui distribuait les contrats, relève directement de lui. Il l'aidait à choisir les événements qui bénéficieraient des commandites et suivait le dossier de très près.

Le juge Gomery n'a jamais laissé entendre que l'un ou l'autre avait connaissance des malversations commises par Guité et les autres. Mais le laxisme dans l'application du programme et l'empressement à placarder le Québec de drapeaux ont permis les dérapages.

Voilà l'essentiel des blâmes adressés à MM. Chrétien et Pelletier. Ils ont contesté ces conclusions devant la Cour fédérale, et le juge Max Teitelbaum leur a donné raison en 2008. Non pas parce que le juge Gomery avait mal analysé les faits, mais parce que, en multipliant les déclarations, il avait pu laisser voir une apparence de partialité. MM. Chrétien et Pelletier pouvaient raisonnablement craindre qu'ils ne seraient pas traités correctement dans le rapport, a dit le juge.

C'est ce jugement qui vient d'être confirmé par la Cour fédérale d'appel. Il n'y a pas de doute, le juge Gomery a erré en parlant aux médias, en commentant les témoignages en plein milieu de l'enquête. Il a présenté ses excuses, d'ailleurs. Mais il a récidivé en signant la préface du livre de son porte-parole, très agressif envers Jean Chrétien, puis en faisant d'autres commentaires après la commission. C'est un récidiviste...

Je persiste néanmoins à dire que, pour qui se donne la peine de lire le rapport des faits, les conclusions qu'il tire à propos de Jean Chrétien et de Jean Pelletier sont parfaitement justifiées, mesurées et très bien soutenues par la preuve. C'est donc un dénouement très insatisfaisant.

Ces blâmes restent dans le rapport, qui raconte cette histoire de gaspillage de 300 millions, de fraude et de financement illégal du Parti libéral. Mais il y aura cette note en bas de page, cette tache sur ce travail énorme, due à l'imprudence d'un commissaire.

La Cour fédérale d'appel a confirmé séance tenante la décision du juge Teitelbaum et rendu un jugement de quatre pages. Ça montre assez à quel point le juge Gomery a indisposé la magistrature par son style coloré.

La conclusion (annulation des blâmes) me semble exagérée, mais le message est clair: que les commissaires et autres décideurs s'abstiennent de faire des déclarations aux médias, qu'ils ne commentent rien avant d'avoir tout entendu et qu'ils montrent ainsi à tous qu'ils ont l'esprit ouvert.

Et c'est dans le rapport qu'ils doivent s'exprimer, pas ailleurs.

Nous voici maintenant, juridiquement, avec un scandale orphelin. Heureusement, ça n'efface pas les faits politiques. Péquisteries Ils sont drôles, les péquistes.

Les voici en position de gagner les prochaines élections. Les libéraux sont discrédités. L'ADQ est l'ombre de son ombre. Le «nouveau parti» est nouveau, mais pas un parti. Tout est relativement favorable au PQ, donc. Quelle merveilleuse occasion pour contester le leadership de Pauline Marois! Et allez, on remet ça!

Bernard Landry s'en va à la télé pour dire que le parti est trop obsédé par l'idée de gouverner et pas assez par la souveraineté. Ça, c'est nouveau et original! Pas aigri du tout, M. Landry, n'allez pas croire ça! C'est juste qu'il trouve systématiquement que tous ses successeurs ne l'ont pas. Et voilà maintenant l'inévitable salve de Jacques Parizeau. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas fait une vacherie à un de ses successeurs. On s'ennuyait.

Il s'en va dire que l'homme de la situation, ce serait Gilles Duceppe. Ah! Les discours de Gilles Duceppe, à Washington et dans le reste du Canada! C'est vrai que Gilles Duceppe aurait été un bon chef. M. Duceppe a été candidat pendant 24 heures à la direction du PQ, en 2007, et il a dételé aussitôt. M'est avis que l'homme ne se déteste pas à Ottawa, dans ce rôle d'éternel et brillant gérant d'estrade, faiseur d'excellents discours vertueux.

Quelle est donc l'idée derrière ces coups de coude au visage des deux ex? Ennui? Vengeance? Intrigue?

Prédiction: on verra sous peu quelques militants de la militance venir dire haut et fort que le parti ne parle pas assez de souveraineté. Le cycle péquiste est plus régulier que celui des comètes. Et puis, ils se tâteront l'article 1 sur la voie publique. Des mois de plaisir en perspective!

Pendant ce temps, voyez comme Jean Charest s'amuse. Il a raison. Les péquisteries sont du plus haut comique.