Deux des plus importantes sociétés de construction au Québec viennent d'avouer une fraude fiscale de plusieurs millions de dollars. Mais on n'en connaîtra pas les détails ni la mécanique bien huilée.

Pourquoi? Parce que Simard-Beaudry Construction et Construction Louisbourg ont plaidé coupables à la première occasion, mardi. La preuve ne sera donc jamais exposée. On doit se contenter d'un vague résumé des faits principaux: les deux sociétés d'Antonio Accurso faisaient passer de fausses dépenses ou des dépenses pour des bijoux et un bateau dans leurs frais, pour éviter illégalement de l'impôt.

Voilà qui illustre à merveille que Jean Charest a tort de prétendre que les opérations policières suffisent à exposer les systèmes de fraude et de collusion dans le monde de la construction.

Les enquêtes policières visent à accumuler de la preuve pour établir la culpabilité d'une personne. Si elle s'avoue coupable, on ne se donnera pas la peine de faire venir des témoins pour le plaisir de la chose. On s'en tiendra à un sommaire pour le juge.

On pourrait dire que plus la preuve est forte, plus les accusés ont intérêt à éviter un procès et à négocier en vue de plaider coupable. En somme, le meilleur travail policier est le moins susceptible d'éclairer le public sur les mécanismes criminels du milieu!

La perspective est tout autre dans une commission d'enquête: le but n'est pas d'accuser, mais d'exposer pour mieux comprendre.

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Cela dit, plusieurs questions se posent après l'aveu de culpabilité de Simard-Beaudry et Louisbourg.

La plus évidente: pourquoi Tony Accurso n'est-il pas accusé personnellement dans ces dossiers? Après tout, on a accusé les complices, la firme BT Céramique ET son président, Francesco Bruno - ils auront leur procès au printemps. Ce sont eux qui ont fourni de fausses factures à Simard-Beaudry et à Louisbourg pour éluder de l'impôt.

Pourquoi Bruno et pas Accurso? Parce que la preuve est évidente dans le cas de Bruno. Il dirige des entreprises fictives qui n'ont pas fait de travail et il a signé lui-même les documents.

Dans des sociétés aussi considérables que Simard-Beaudry et Louisbourg, plusieurs couches de gestionnaires séparent Tony Accurso des basses manoeuvres. Accurso est celui qui entretient les contacts avec les donneurs d'ouvrage, avec la FTQ, avec les élus ou les fonctionnaires.

On peut bien soupçonner qu'il a bénéficié des manoeuvres puisque ses sociétés ont financé aux frais des contribuables la rénovation de «son» bateau. Mais ce palace flottant appartient à une société à numéro (contrôlée par Tony Accurso), qui le loue à quiconque veut s'en servir... notamment à Tony Accurso, en sa qualité de président de Simard-Beaudry, de Louisbourg et de plusieurs autres sociétés. Vu le nombre et le type de personnes qui y ont séjourné, il peut prétendre qu'il y brasse des affaires. Une de ses entreprises a réclamé indûment plus de 1,8 million de dollars pour le rénover. Mais dans le fatras des écritures comptables de toutes ses sociétés, il devient difficile de prouver hors de tout doute qu'il en a eu personnellement connaissance. Un homme d'affaires avisé n'aurait pas dû l'ignorer. Mais le test, ici, est celui du droit criminel, pas de l'homme d'affaires raisonnable.

Il sera maintenant intéressant de voir si M. Accurso témoignera au procès de Francesco Bruno. Si M. Bruno a fait des factures bidon au profit des sociétés de Tony Accurso, ce dernier est sûrement un témoin pertinent.

En attendant, la sanction de la Régie du bâtiment, qui menace de suspendre la licence de ces deux énormes entreprises, aura des conséquences importantes, au moment même où Tony Accurso en restructure le financement - il vient de racheter la part du Fonds de solidarité FTQ dans Simard-Beaudry. Le Fonds est sûrement content de ne plus être actionnaire d'une société condamnée pour fraude fiscale.

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Autre question: pourquoi est-ce une agence fédérale (l'agence du Revenu) qui a porté des accusations, alors qu'on attend les fruits du travail de l'escouade Marteau?

Parce qu'il ne s'agit pas d'une enquête «sur l'industrie de la construction», mais tout simplement d'une enquête fiscale.

Quelle est l'origine cette enquête? C'est un des très nombreux sous-produits de l'opération Colisée, sur la mafia italienne. Pendant deux ans, les policiers (surtout de la GRC) ont enquêté sur le clan Rizzuto. Cela a valu plusieurs condamnations, dont celle du parrain Nick Rizzuto. Mais pendant que les policiers enquêtaient sur la mafia, ils ont découvert toutes sortes d'histoires qui ne les intéressaient pas... mais qui pouvaient intéresser le fisc, ou maintenant l'escouade Marteau.

Une de ces histoires était la manoeuvre de Bruno. Mais ce n'est pas fini. Les policiers ont trouvé une mine de renseignements qui commencent à peine à être analysés, et qui engendrent déjà plusieurs enquêtes.

Ce n'est donc qu'un début.