Comme cadeau, on peut difficilement faire mieux que de donner un organe vital. Encore qu'un pancréas, ça ne se glisse pas très bien sous le sapin.

Ce n'est pas tout à fait un cadeau de Noël, c'est vrai. Pas du tout, en fait. Tout de même, ce serait donner beaucoup que de signer ce consentement au prélèvement qu'on colle au verso de sa carte d'assurance maladie (et qu'on peut trouver sur le site de Québec-Transplant).

C'est ce que m'a dit de vous dire Bernard Cyr, hier matin. Il a 48 ans. Il est l'un des plus vieux survivants de la fibrose kystique au Québec. Il aime mieux dire vivant que survivant, mais tellement en sont morts tellement jeunes...

Bernard Cyr est aujourd'hui le numéro 22 sur la liste des gens en attente d'un poumon du groupe sanguin A.

Jusqu'à 12 ans, il a fait du sport et, sauf les centaines de pilules qu'il devait ingurgiter, sa vie était en apparence normale. À cet âge-là, ses poumons ont été atteints. Du mucus s'y forme, et chaque jour, pendant une demi-heure, il doit se prêter à une séance de clapping, une technique de tapotement du thorax destinée à libérer les poumons. Régulièrement, l'infection se met de la partie et c'est la bronchite et la pneumonie.

Il a réussi à faire des études universitaires en administration et en informatique. Il s'est marié il y a 20 ans, mais il a décidé qu'il n'aurait pas d'enfant, vu son espérance de vie. Il travaillait chez Desjardins comme programmeur-analyste.

À l'oeil nu, ça ne se voyait pas tellement. Ce n'est écrit dans le front de personne qu'il se tape deux, trois heures de traitements et de prises de médicaments divers, plus des hospitalisations tous les neuf mois. Il rentrait au bureau, on l'entendait tousser un peu creux, on savait qu'il avait une «condition», mais il n'en faisait pas un drame.

«Je n'ai jamais eu peur de mourir, les médecins me rassuraient et je m'en sortais.»

Ça, c'était jusqu'au 22 janvier 2009. Là, d'un coup, sa capacité pulmonaire a diminué de moitié. Déjà qu'elle était la moitié de celle du respirateur moyen... Pincez-vous le nez, prenez une petite paille et essayez de respirer. Ça, c'était avant le 22 janvier 2009. Divisez par deux: il est tombé au quart. Il n'a jamais remonté.

C'est là qu'on l'a mis sur la liste des candidats. Il faut presque un an avant d'être sur la vraie liste. Il faut évaluer votre cas, votre santé, vos chances de survie. Bref, en décembre, il y a un an, on lui a donné un numéro sur la liste: 35.

Statistiquement, j'allais dire qu'il faut à peu près deux ans pour avoir une paire de poumons d'occasion. Mais quand on respire 19 heures sur 24 avec un condensateur d'oxygène, l'attente se compte en jours. Soyons précis: 676 jours en moyenne.

Ça pourrait être pire, remarquez bien. Pour un rein, c'est 762 jours. Les trois quarts des 1200 Québécois qui attendent une transplantation au Québec attendent un rein.

On meurt parfois d'attendre. C'est arrivé à 43 personnes en 2008.

Mais on ne meurt pas du manque de budget du Ministère, ni du manque d'infirmières ou de docteurs. On meurt du manque d'organes. Si un donneur meurt dans de bonnes conditions cette nuit, il peut donner huit organes (coeur, poumons, reins, pancréas, foie, intestins) et des tissus. Des téléavertisseurs se mettront à sonner chez des médecins, chez des patients, et on opérera de toute urgence. En moyenne, on utilise 3,7 organes par donneur au Québec.

Sauf que ces bonnes conditions sont très rares. À peine 1,4% des personnes qui meurent à l'hôpital sont des donneurs potentiels. En fait, on a sept fois plus de probabilités d'être sur une liste d'attente pour un organe que de donner effectivement un organe à notre mort.

Pourquoi? Parce qu'il faut se préparer. Il faut attendre la mort neurologique et, ensuite, continuer à oxygéner les organes. Et ça, encore peu d'hôpitaux peuvent le faire. Si on ajoute à tout ça la confusion sur la volonté du défunt (où est sa carte? que voulait-il? etc.), on réalise qu'on ne change pas d'organe comme de radiateur.

En 2009, seulement 138 Québécois ont pu donner leurs organes.

En novembre, l'Assemblée nationale a adopté une loi créant un registre national qui permettra immédiatement de savoir si le patient accepte de donner ses organes. La loi vise à encourager les gens à s'y inscrire.

Le Québec est déjà la province canadienne où l'on donne le plus d'organes. Mais en se comparant à certains États américains ou à l'Espagne (qui en prélève presque le double), on voit qu'on peut faire mieux. Les coûts? Un nouveau rein permet de faire économiser des dizaines de milliers de dollars en dialyse et autres traitements.

En passant, l'âge ne fait (presque) rien à l'affaire. Le plus vieux donneur québécois avait 88 ans.

«D'après les sondages, 90% des gens sont favorables au don d'organes. Mais c'est encore une minorité qui signe le consentement», dit le Dr Michel Pâquet, président du comité du don d'organes du CHUM.

Le réseau doit s'organiser, il faut former des gens tant pour repérer les donneurs que pour expliquer les choses aux familles.

Mais tout part de deux petites choses très, très simples: signer son consentement. En parler à sa famille.

«Il me semble que c'est le bon temps de l'année pour se parler, dit Bernard Cyr. Moi, mes organes, je ne les emporterai pas avec moi. Je ne connais pas de religion qui demande de garder ses organes pour aller au ciel. On peut aider à sauver cinq, six, huit vies...»

Commençons par une vie. Celle de Bernard Cyr, qui, statistiquement, devrait attendre encore 311 jours.

C'est quand même rare qu'un geste aussi minuscule puisse avoir d'aussi incalculables conséquences.

Ce n'est pas vraiment d'un cadeau de Noël qu'il s'agit, c'est vrai. Mais puisqu'il est question de vie et de donner, ça ferait quand même Noël.

Pour joindre notre chroniqueur: yboisvert@lapresse.ca