En 1964, huit ans après la pendaison de Wilbert Coffin, ce qu'on appelle l'opinion publique du Québec était convaincue qu'on avait exécuté un innocent.

Des journalistes ontariens, mais surtout Jacques Hébert, avec deux livres, dont un violent pamphlet intitulé J'accuse les assassins de Coffin, avaient plus que semé le doute sur sa culpabilité dans le meurtre de trois chasseurs américains.

Un juge éminent de la Cour supérieure, Roger Brossard, a été désigné pour présider une commission d'enquête destinée à revisiter tout ça. Son procureur était Jules Deschênes, une des étoiles du barreau.

Un des premiers appelés à la barre fut Jacques Hébert. Avez-vous assisté au procès, monsieur Hébert, pour écrire avec autant d'assurance que Coffin a été victime d'une erreur judiciaire? Non, répondit-il. Avez-vous lu les notes sténographiques au complet, alors? Non plus.

Le journaliste passa un mauvais quart d'heure. En tout, 214 témoins furent entendus, dont les 12 jurés du procès (du jamais vu). Plus de 400 pièces furent produites. On révisa minutieusement la preuve. On apprit que l'avocat de Coffin avait apparemment fait disparaître l'arme du crime.

Conclusion: il n'y a aucune preuve d'erreur judiciaire. En fait, tout indique que Coffin était bien coupable.

Ce rapport a été généralement passé sous silence. Et, au bout du compte, l'opinion publique a continué à croire en l'innocence de Coffin.

Il y avait dans cette histoire tout ce qu'il faut pour en faire une «affaire»: l'influence américaine présumée, l'ombre de Duplessis, une pendaison (une des dernières au Canada)... L'affaire Coffin était emblématique de la «grande noirceur» dont une génération s'employait à se libérer.

De la même manière, les 300 pages du rapport Bastarache n'y changeront rien: l'affaire Bellemare est entendue depuis longtemps dans l'opinion publique. On préfère la version de Marc Bellemare. Elle est dans l'air du temps. Elle dit ce qu'on pense de la politique et de Jean Charest. Peu importe les détails: elle raconte une histoire qu'on croit d'avance. L'influence démesurée des financiers. Le favoritisme. Le pouvoir de l'argent.

Et puis, cette commission était mal née: au milieu d'un conflit personnel entre l'accusateur et le premier ministre, qui a intenté en même temps une poursuite personnelle pour atteinte à sa réputation. La mise sur pied dans la précipitation de cette commission d'enquête sur la foi des allégations d'un seul homme, fût-il ex-ministre de la Justice, plaçait déjà l'opération dans une situation de déséquilibre. Marc Bellemare a eu beau jeu de la discréditer: c'est le premier ministre qui a choisi son commissaire, il est payé par le gouvernement, etc. Comme si les commissaires devaient venir d'une autre planète et être payés par un gouvernement étranger!

John Gomery n'a pas eu ce problème parce qu'il venait présider une commission réclamée à la suite d'un scandale de bonne ampleur. Michel Bastarache, lui, arrivait en terrain miné. L'affaire était mal barrée dès le départ, et c'est Jean Charest qui en est le responsable.

Cela dit, Michel Bastarache a beau avoir montré son inexpérience d'une salle d'audience avec des témoins, il ne mérite pas de se faire traiter comme l'a fait Marc Bellemare. Ni les sarcasmes de Pauline Marois, qui dit qu'il n'a pas vu «la même commission que nous».

Aurait-il pu être plus sévère? Aller encore plus loin dans ses recommandations? Aurait-il pu blâmer, par exemple, le juge Michel Simard, qui est allé se quêter une promotion auprès d'un collecteur de fonds libéral? Sans doute.

Mais s'il n'a pas retenu la version de Marc Bellemare, ce n'est pas par caprice, ce n'est pas parce qu'il a «préféré» la version de Jean Charest. C'est parce que ce qu'a dit Marc Bellemare paraît grandement exagéré par rapport à l'ensemble de la preuve. Dont plusieurs notes prises par des fonctionnaires à l'époque. Dont le fait que, malgré des «ordres» de nommer untel, il ne le fait que des mois plus tard, après avoir avancé d'autres candidatures.

Mais ça, pour le voir, il faut aller se taper la démonstration du commissaire. Il ne dit pas que Marc Bellemare n'a subi aucune influence. Il dit qu'il n'a pas été contraint de nommer deux juges et d'en promouvoir un troisième.

Qui croyez-vous, a demandé Pierre Maisonneuve à son émission, cette semaine: Marc Bellemare, Jean Charest ou Michel Bastarache? Comme si le commissaire était un simple quidam qui y va de son opinion, de ses affirmations, de ses états d'âme.

En cela, Marc Bellemare a gagné son pari en lançant avec arrogance: «Qui est-il, ce Michel Bastarache, pour dire ce qui est vrai?»

C'est un honnête homme qui a juré de tenter d'établir ce qui, le plus vraisemblablement, s'est passé en 2003-2004. Il a suivi une méthode d'analyse, des règles de droit et de logique pour tenter de déterminer ce qui est le plus probable dans la difficile reconstitution des événements humains. Ce n'est évidemment pas infaillible. Mais je serais bien étonné qu'avec le même matériel un autre juge arrive à une conclusion opposée.

Encore faut-il se donner la peine de lire son rapport.

Marc Bellemare a bien des raisons d'être fâché vu qu'on lui a concocté une commission bien personnelle, chose pratiquement inédite.

Il en restera néanmoins ceci: le constat de la perméabilité aux influences politiques du système de nominations. Et des pistes intelligentes et simples de réforme.

Voilà pourquoi, d'une commission non nécessaire, il a fait quelque chose d'utile. Quoi qu'on en dise dans les tribunes téléphoniques.

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