Il y a deux raisons qui expliquent l'écart salarial entre les procureurs ontariens et ceux du Québec.

Non, ce n'est pas à cause du plus grand amour des Ontariens pour la justice.

D'abord, bien sûr, les salaires sont généralement tous plus élevés en Ontario - tout comme le coût de la vie, l'un suivant l'autre.

Mais surtout: après des années de lutte assez musclée, les procureurs ontariens ont obtenu l'arbitrage obligatoire. Isolez un groupe d'avocats payés par l'État et comparez-les à ceux du privé dans la ville où les avocats sont les mieux payés au pays... et vous obtiendrez une conclusion assez prévisible: les procureurs sont sous-payés.

D'un seul coup, donc, il y a 10 ans, le gouvernement ontarien a dû augmenter de 30% les salaires des procureurs de la Couronne.

On comprend pourquoi, en 2003, le gouvernement du Québec a préféré donner le droit de grève à ses procureurs plutôt que l'arbitrage...

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Le spectaculaire «rattrapage» ontarien est arrivé en même temps que celui des juges de partout au Canada. Car, en 1998, la Cour suprême avait trouvé entre les lignes de la Constitution l'obligation faite à tous les gouvernements de créer des comités de rémunération pour déterminer le traitement des juges - pour préserver l'indépendance judiciaire, disait-on, il ne convient pas que les magistrats négocient avec l'exécutif.

C'était de l'arbitrage obligatoire sous un autre nom. Le résultat a été tout aussi spectaculaire: les salaires des juges ont augmenté de 50% et plus dans plusieurs provinces. Si l'on voulait attirer les meilleurs candidats, il fallait leur offrir un salaire à la hauteur, disait-on. La sécurité et la généreuse retraite ne suffisaient plus.

Or, dans ce qu'on appelle maintenant l'industrie des services juridiques, les associés des grands cabinets touchent souvent 300 000$ par an, voire un demi-million et plus.

Voilà le marché auquel se réfèrent les avocats de l'État. Avec ce genre de comparaison, on devine que le gouvernement n'est pas très attiré par l'arbitrage.

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Les procureurs du Québec ont donc continué à être traités comme la fonction publique. C'est ainsi qu'ils ont décroché de la moyenne canadienne. C'est ainsi, également, que les meilleurs jeunes candidats sont souvent recrutés par la Couronne fédérale, où les salaires ont suivi les courbes nationales.

À Toronto, au contraire, on peine à retenir les procureurs fédéraux, attirés par les salaires de la Couronne ontarienne. Les meilleurs peuvent y gagner plus de 200 000$ en comptant les primes au mérite. Au bas de l'échelle, un procureur ontarien touche 76 000$. Quatre ans plus tard, ce blanc-bec en est à 105 000$ (déjà le maximum québécois). Suivent deux autres séries d'échelons qui peuvent les mener au maximum. Mais, sauf incompétence, le procureur moyen en Ontario atteindra 185 000$ avant 15 ans d'ancienneté.

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N'allons pas croire pour autant que les procureurs de la Couronne, y compris les meilleurs, pourraient tous aller chercher deux, trois fois plus en travaillant pour la défense. D'abord, la pratique privée en défense n'est pas le pactole. Quelques stars roulent carrosse mais, encore là, la concurrence est vive, la sécurité nulle, il n'y a ni régime de retraite, ni vacances payées, et il y a beaucoup de factures en souffrance: le criminel moyen - pardon: le présumé innocent moyen - n'est pas toujours facile à «collecter».

Le fait est cependant que la dévalorisation relative de la fonction de procureur de la poursuite l'entraîne insensiblement vers la médiocrité.

Ce n'est pas seulement ceux qui partent pour le fédéral ou la magistrature qu'il faut compter. C'est tout le talent perdu parce qu'il va voir ailleurs. Ces avocats jouent un rôle névralgique dans l'État et on ne peut pas faire comme si la concurrence n'existait pas.

Il conviendrait sans doute de distinguer entre les différents «juristes de l'État». Le notaire de l'État et le procureur qui fait un superprocès de motards ou une affaire complexe de blanchiment ne sont pas dans la même situation de concurrence, de stress et de rareté. Les primes au mérite sont un outil efficace qui mérite d'être exploité.

En tout état de cause, si l'État n'a pas les moyens de consentir une augmentation de 40%, une forme de rattrapage un peu significatif est non seulement juste mais inévitable.

Ils soutiennent même qu'elle serait socialement rentable. Ils n'ont pas tout à fait tort.