Depuis longtemps déjà, la Ligue nationale de hockey a laissé la déviance s'installer sur ses patinoires.

Depuis longtemps - mais dans la plus parfaite incohérence -, elle a démontré son incompétence à gérer les actes de violence gratuits.

Incapable de dire à peu près clairement ce qui est dans la «nature» de ce sport de contact et ce qui le dénature.

Cela a des conséquences sur les 700 joueurs de cette ligue, mais certains diront que cela fait partie des risques du métier.

Ce n'est évidemment pas vrai. Un participant à un sport, quel qu'il soit, accepte les risques normaux liés à ce sport - blessure par une rondelle, chute, mise en échec légale ou même un combat librement consenti.

Mais au-delà des professionnels, il faut bien voir que cette ligue est le modèle sur lequel se calque tout le hockey mineur, quoi qu'on en dise. L'acceptation, la tolérance ou l'encouragement de la violence, des mises en échec illégales et des coups à la tête par le laisser-faire a des conséquences pour des centaines de milliers de jeunes qui pratiquent ce sport au Canada et ailleurs.

Il ne s'agit donc nullement d'un débat entre partisans de clubs de hockey professionnels, mais d'un enjeu de santé publique, pour ainsi dire.

Il y a un mois, j'ai vu, avec d'autres parents, un garçon de 14 ans étendu sur la glace, immobile, après avoir reçu une mise en échec «légale» d'un joueur de 25 kg plus lourd que lui.

Les parents sur la patinoire, les soigneurs puis les ambulanciers, la civière, la tête entre des blocs... Il s'en est tiré sans trop de dommages, mais d'autres ont eu moins de chance.

Même pour ceux qui ne restent pas à l'hôpital, on sait maintenant un peu mieux quelles sont à long terme les conséquences des commotions cérébrales: risques de dépression, de démence, de maladies dégénératives cérébrales... On n'a plus l'excuse de l'ignorance.

Où finit l'accident bête et où commence l'agression? Comme la LNH est incapable de répondre clairement à cette question, tout le hockey en arrive à accepter comme une sorte de fatalité la violence gratuite. Pourvu qu'elle résulte d'un geste ayant les dehors de la légalité.

La victime jouait la tête trop basse, tant pis pour elle, on peut la frapper... La victime fait 25 cm de moins que celui qui la frappe, normal qu'elle reçoive un coude au visage...

On ne peut rien faire, en somme: c'est un sport de contacts!

On connaît la chanson.

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On peut donc décider qu'il n'y a effectivement rien à faire et attendre benoîtement que la ligue sévisse... On a vu hier ce que ça donne.

Il n'a pas suffi que le meilleur joueur au monde, Sidney Crosby, soit à l'écart pour la moitié de la saison.

Il n'a servi à rien que Mario Lemieux dénonce le ridicule de cette ligue, sa tolérance vis-à-vis de la violence.

Cette ligue ne donne pas le moindre indice d'une quelconque volonté d'évolution.

Que faire, alors?

Le changement - disons: la tentative de changement - doit venir de l'extérieur. Il doit venir par le droit.

Par des poursuites civiles, comme celle de Steve Moore, lequel réclame 19,5 millions à Todd Bertuzzi, qui a mis fin à sa carrière en le frappant par-derrière - une affaire pendante depuis 2006.

Une cause plus nette puisque Bertuzzi a subi une longue suspension et a été condamné au criminel.

Mais Max Pacioretty a peut-être une cause civile lui aussi. Certes, un joueur accepte les risques inhérents à son sport. C'est-à-dire ce qui est normalement prévisible, y compris les accidents graves. Mais personne n'est présumé accepter un coup de bâton (Brashear-McSorley), une agression par-derrière (Moore-Bertuzzi), un coup de coude salaud (l'affaire junior Cormier-Tam), un double échec au visage (l'affaire du hockeyeur junior mineur condamné par la Chambre de la jeunesse). Qui prétendra qu'on accepte d'emblée de se faire pousser volontairement contre un poteau?

S'il y a eu des accusations criminelles dans les cas que je viens de citer, il y a de quoi enquêter sur le cas Chara. Au moins enquêter.

Pas besoin qu'il y ait coup de bâton pour que ce soit du ressort du droit pénal, évidemment.

L'utilisation de la force contre le gré d'une personne constitue des voies de fait. Ce qui ne ressort pas de la pratique normale du hockey (mises en échec légales, rondelles perdues, accidents) est fait contre le gré de la victime. Il n'est pas nécessaire que l'agresseur ait voulu la conséquence précise de son geste. Il suffit qu'il ait eu l'intention de le commettre et qu'il ait été insouciant des conséquences.

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Chara ne voulait sans doute pas fracturer une vertèbre à Pacioretty. Mais il voulait le pousser là où il l'a fait.

On est tous responsables de la conséquence prévisible de nos actes. C'est un principe qu'on devrait appliquer au hockey comme à n'importe quelle conduite humaine.

Comme la Ligue nationale n'entend pas le faire, il faut donc passer à l'attaque juridique. Elle a couru après, comme dirait Don Cherry des joueurs qui jouent la tête basse...