Il parle la tête et les yeux baissés, bien agrippé au lutrin. Sa voix est frêle, mal assurée. Il perd des cheveux mais son visage n'a pas une ride. Il a quelque chose d'enfantin dans le ton comme dans l'allure.

- Votre nom?

- Guy Turcotte.

- Profession?

- J'étais cardiologue...

Deux jours que j'écoute cet homme raconter par quel chemin tordu, un soir de février, il est sorti de sa vie en apparence exemplaire pour aller tuer ses enfants.

Deux jours à n'y rien comprendre. À me dire: ça n'arrivera pas, ce n'est pas possible. Lui?

Tout est trop banal dans la lente agonie de ce couple mal assorti. Les querelles incessantes, les reproches sur le partage des tâches, les horaires de travail difficiles, l'éternelle jonglerie travail-famille...

Un mois avant le jour fatal, il apprend que sa femme le trompe avec son meilleur ami du moment, Martin Huot, entraîneur. C'est la femme de Huot qui le lui dit.

Il décide de ne pas annuler le voyage au Mexique prévu pour toute la famille, trois jours plus tard. Son fils parle sans cesse du voyage, apprend des mots espagnols... «Je ne suis pas capable d'annuler ce voyage-là.»

Alors il ravale sa peine et sa rage. Et le samedi 17 janvier 2009, toute la famille est dans la voiture en route pour l'aéroport. Isabelle Gaston ne se doute pas qu'il est au courant de sa liaison.

À la radio, pendant qu'ils roulent sur la 15, on joue Les hirondelles, des Cowboys Fringants. Il se met à pleurer. Isabelle Gaston lui caresse le cou.

- Qu'y a-t-il dans les paroles de cette chanson qui vous fait pleurer? a demandé son avocat, Pierre Poupart.

- Est-ce que je peux vous les écrire pour demain? Ça me met en contact avec mes émotions...

Je l'écoutais en m'en revenant du palais de justice, hier:

«Quand on le voyait/Il était parfait

Il avait la vie dont les gens rêvaient/Famille charmante/ [...] Mais en vérité/Il était vidé/Et avait la fuite dans les idées...

L'image que l'on donne/N'est pas toujours la bonne/Volent, volent, les hirondelles/Même les beaux plumages/Peuvent être une cage...»

Il est donc en route vers le Mexique, la mort dans l'âme, mais fait comme si de rien n'était.

Deux jours plus tard, sa femme apprend par un courriel que sa liaison est éventée. Ils décident de se voir le moins possible pour le reste de cette semaine de vacances. En revenant, il trouve une maison en 24 heures. Il emménage le lendemain. On est le 26 janvier 2009. Il quitte sa femme pour toujours et avant de partir, ils règlent les détails de la garde partagée.

- Comment ça se passe? a demandé Me Poupart.

- Ça se passe bien, c'est poli, dans le respect, dans la collaboration, dit l'accusé de 39 ans.

Extérieurement, poli. «J'ai beaucoup de difficulté à vivre ce qui se passe, je suis figé, j'essaie de refouler...»

En fait, il est très en colère. Contre elle, mais aussi contre Martin, qu'il considérait comme un ami sincère.

Et il se retrouve seul dans sa nouvelle maison, seul pour la première fois depuis cinq ans, seul et déprimé.

***

L'interrogatoire s'est arrêté là, hier, sur le sofa d'un chalet de Piedmont, le 28 janvier 2009.

On n'a pas encore parlé de «ça», après une journée et demie de témoignage.

Souvent, l'accusé pleure, mais il se ressaisit. Comme quand il parle des décorations qu'il est allé chercher pour égayer sa nouvelle maison. Des affiches, des couvertes, des doudous, un tapis de Dora l'exploratrice...

On sait bien qu'ils sont morts trois semaines plus tard, et qu'il les a tués. Mais après deux jours de témoignage, on ne comprend pas pourquoi. Il n'a tellement pas l'air parti pour ça...

Il parlait lundi des valeurs chrétiennes de ses parents, humilité, non-violence... Il y a eu comme un malaise - un parmi cent mille.

***

Que s'est-il passé dans la tête du docteur Turcotte, ce jour de février 2009? C'est l'unique enjeu de ce procès.

Comment a-t-il pu en arriver là, lui qui parle tendrement de ses enfants - il dit qu'il est bien avec eux, mais il confie qu'il a suivi des cours pour s'en rapprocher.

Lui qui a l'air, en fait, d'un grand enfant, depuis deux jours.

On comprend de son témoignage que, derrière cette rage de tout réussir (de ses études à ses cours de natation), se profilent une profonde insécurité et des états dépressifs.

Quand les querelles augmentaient en intensité (et à la fin, ce n'était que ça), il s'isolait, totalement démoli, a-t-il dit hier.

Son «coach de vie», trouvé par sa conjointe, le convainc qu'il n'est «pas un trou de cul»: «T'as des beaux enfants, une femme qui t'aime, t'es intelligent, t'es pas laid, t'as une belle maison, arrête de parler comme ça!»

«J'ai été obligé de lui donner raison, que je suis pas si pire que ça, a dit l'accusé sans conviction. Il a vu le coach une dizaine de fois. Ça lui remonte le moral», dit-il. Mais...

Au fil des querelles et de ses déprimes, il a des idées suicidaires récurrentes.

Du dehors, rien n'y paraît. Mais l'image n'est pas toujours la bonne...