Les gens lisent trop de romans d'espionnage. Ou bien c'est moi qui n'en lis pas assez.

Les Français, en majorité, croient à un complot contre Dominique Strauss-Kahn.

Bon, ça, c'est normal, n'allez pas blâmer l'opinion publique hexagonale. La politique française est un nid d'intrigues et de complots.

S'il y a un endroit en Occident où les thèses «conspirationnistes» peuvent s'appuyer sur un fondement historique, c'est bien en France, pays qui a connu l'écoute électronique massive du président de la République, affaires et contre-affaires, Clearstream et autres coulages de bateau écologistes...

Mais vous, lecteurs raisonnables, vous voilà en train d'échafauder des scénarios de subornation de témoin? Je ne compte plus ceux qui me disent que l'accusé va «acheter le silence» de la plaignante.

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Soyons sérieux un instant. Pensez-vous vraiment que Dominique Strauss-Kahn soit en position de soudoyer qui que ce soit?

L'homme est en prison, sous les regards des médias du monde entier. La plaignante est maintenant nommée allègrement (et sans vergogne) dans les grands médias européens, contrairement aux lois et aux principes reconnus en matière de protection des victimes d'agression sexuelle.

Il n'y a que son groupe sanguin qu'on ne nous a pas communiqué, mais ça ne saurait tarder, je suppose...

Comment croire que DSK irait faire un arrangement financier alors même que le grand jury est sur le point de l'accuser formellement de crimes graves?

Les gens riches et puissants qui font ces choses-là les font avant que des accusations soient portées. Par exemple feu Michael Jackson, qui a versé quelques millions aux parents de certains de ses jeunes invités. Ce genre d'arrangement, qui oscille entre le chantage et l'entrave à la justice, est généralement accompagné de documents soigneusement rédigés. Le but est précisément d'éviter la publicité, le scandale et la justice.

Une fois l'accusation portée, il est trop tard. Il faudrait être fou pour tenter de proposer à la plaignante une valise d'argent. Ce serait clairement un acte criminel, commis au moment même où les journalistes scrutent toute l'affaire.

Si la plaignante change sa version subitement et innocente l'accusé, on se demandera pourquoi. Et elle risquerait à son tour d'être accusée d'avoir fait une fausse déclaration, de s'être parjurée et d'avoir déclenché une enquête bidon.

Oubliez ça.

Ah, mais c'est vrai, vous avez lu des romans. Ce serait plus subtil, n'est-ce pas? La plaignante rendrait simplement un témoignage peu convaincant au procès et susciterait un doute raisonnable...

Vous êtes trop rusés pour moi.

Eh! On parle des États-Unis, le pays de l'hyperjudiciarisation! Inutile d'obtenir illégalement de l'argent de l'accusé: un juge le lui donnera.

Des centaines d'avocats doivent faire la queue la nuit devant le restaurant du frère de la plaignante pour lui donner leur carte professionnelle.

Trop tard: elle a déjà un avocat, Jeffrey Shapiro.

Tiens donc... M. Shapiro, criminaliste, est membre d'une firme qui se spécialise dans les erreurs médicales et autres affaires de responsabilité civile.

Voyez le topo? La poursuite est déjà dans le collimateur, et Me Shapiro fera ça gratuitement, se réservant un pourcentage bien mérité sur la somme obtenue, qu'on peut prévoir juteuse.

Une condamnation en bonne et due forme devient donc avantageuse, pour ainsi dire, vu les moyens de l'accusé. Ce qui n'est pas sans poser problème: attendons-nous à ce que la défense joue la carte de l'extorsion judiciaire.

Autre élément: les procureurs de New York n'ont aucun intérêt à rater cette cause. Il y a dans ce bureau la crème des procureurs américains. Et ils ont des comptes à rendre au public. N'attendez pas un arrangement mal ficelé.

Qu'en est-il du plea bargaining (on retire la moitié des accusations en échange d'un aveu de culpabilité et d'une peine négociée)? C'est une pratique courante et bien balisée. Mais comme il s'agit d'un cas hautement médiatisé, les procureurs ne voudront surtout pas avoir l'air complaisant. Il n'y aura pas de cadeau.

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Il faut mal connaître la scène judiciaire américaine pour penser que les puissants s'en tirent toujours, même avec des avocats-vedettes. Pour un O.J. Simpson, combien de dirigeants de grandes entreprises et de Madoff? Ce sont autant de médailles au cou des procureurs, dont plusieurs sont élus.

En dépit du fracas de l'affaire et de ses conséquences cataclysmiques en France, ça se réglera devant un jury, qui entendra la preuve comme dans n'importe quelle affaire du genre.

Une affaire archi-simple et d'une triste banalité. Les palais de justice en sont pleins.

C'est incroyable, je sais.

ERRATUM - Contrairement à ce que j'ai écrit hier, il y a un traité d'extradition entre la France et les États-Unis depuis fort longtemps. La France peut toutefois refuser de remettre un de ses citoyens et le juger sur son territoire.