Il paraît qu'on s'est bien fait avoir par deux faux nonos de province dans l'affaire de Hérouxville. «Je riais aux larmes en écrivant ça!» dit maintenant André Drouin à propos du code de vie municipale le plus célèbre du monde. Pour une fois, je suis d'accord avec ce type.

C'était un morceau comique sensationnel, cette histoire. On croyait que c'était de l'humour involontaire. Maintenant, il nous dit qu'il l'a fait exprès.

Il n'était donc pas aussi crétin qu'on l'a cru. Mais à la lumière des événements, je doute qu'il soit aussi brillant qu'il le pense.

Car enfin, ce n'est pas Hérouxville qui a inventé la crise des accommodements. Lancer cette énormité dans l'espace médiatique était peut-être un piège, mais non un canular.

Je veux dire par là que ce code de vie était l'expression caricaturale des vraies idées des deux loustics. La codification outrée d'un authentique ras-le-bol majoritaire.

La forme pseudo-juridique donnait un caractère officiel à un état d'esprit largement répandu, qu'on entendait s'exprimer un peu partout. Du genre: Va-tu falloir attendre que des femmes en burqa s'occupent des garderies? Y en a qui veulent appliquer la charia au Québec et lapider les femmes... Ça va faire, la dictature des minorités religieuses! Etc.

Ce code disait exactement ça, mais à l'envers. Il n'était qu'une déclinaison de plus de l'exagération ambiante autour des accommodements consentis aux minorités religieuses, relativement peu nombreux, rarement absurdes.

Ce n'est pas Hérouxville qui a mené à la commission Bouchard-Taylor, donc. Le climat médiatique qui recouvrait le Québec depuis plusieurs mois menait à Hérouxville.

Déjà, les médias faisaient état (souvent partiellement) de diverses concessions faites ici et là. Mario Dumont a habilement et très naturellement récupéré l'affaire.

Chacun s'est emparé de ce code de vie selon son point de vue. Certains (comme moi) pour dire que les craintes de dépossession identitaire étaient largement exagérées, souvent le fait de gens qui ne rencontrent à peu près jamais d'immigrés ou de personnes d'autres religions.

D'autres y voyaient un autre exemple de la gravité de la situation et de l'urgence de rassurer la population devant une crise sociale. Le temps que le gouvernement «mette ses culottes», selon cette l'expression politico-vestimentaire consacrée.

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Hier, Gérard Bouchard a dit son indignation à Radio-Canada. Il exige des excuses des deux auteurs du code de vie, qui a ridiculisé le Québec aux yeux du reste du pays et d'une partie du monde.

Il a raison. Pour ridicule qu'il ait été, ce code a envenimé le débat, l'a fait partir encore plus croche, a rajouté des couches de malentendu.

Quoi qu'il en soit, et malgré les critiques et déformations dont elle a été l'objet, la commission Bouchard-Taylor a montré qu'il n'y a pas de véritable crise des accommodements.

Plusieurs interrogations fondamentales, plusieurs agacements, malentendus et tensions.

Mais de crise, ce qui s'appelle réellement une crise? C'est-à-dire une forme de désordre un peu conséquent, des violences? Pas vraiment.

Je persiste à croire que l'exercice a été utile à démontrer au moins cela, même indirectement. Et aussi la capacité des Québécois à aborder publiquement les questions liées à l'immigration et aux pratiques religieuses.

MM. Bouchard et Taylor sont déçus de voir que leurs recommandations ont été peu suivies (les commissaires sont toujours déçus qu'on ne suive pas leurs recommandations).

Mais j'admire encore la manière, même parfois maladroite, dont ils ont géré cette situation, fait parler les gens et ramassé tout ça dans un texte pondéré et raisonnable.

M. Bouchard semble regretter maintenant un penchant trop favorable aux minorités exprimé dans ce rapport.

Peut-être les critiques ont-elles fait leur oeuvre. On lui a reproché injustement d'être un admirateur du multiculturalisme -ce que n'est pas l'interculturalisme, qui ne vise pas à cultiver des identités séparées.

Tout ce rapport est pourtant articulé autour d'une idée maîtresse qui ne ressemble pas du tout à une démission: «Fermeté sur les valeurs et normes fondamentales (égalité, sécurité, etc.), flexibilité dans l'application.»

Comme l'a dit Charles Taylor le jour de la présentation du rapport, il y a exactement trois ans: je ne connais pas beaucoup de sociétés dans le monde où l'on aurait pu aborder ces sujets-là de manière aussi sereine.

Ça demeure vrai. Et pour ça, malgré les blagues réelles ou appréhendées, les excès, la démagogie, malgré tout, cet exercice aura été utile.

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