Si votre blonde vous demande de l'embrasser avant de partir, assurez-vous qu'elle est bien réveillée.

Une caresse ou un baiser quand l'autre est inconscient devient techniquement une agression sexuelle.

C'est du moins l'interprétation que fait le juge Morris Fish du jugement rendu vendredi par la majorité de ses collègues de la Cour suprême du Canada.

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Dans cette affaire étrange, un Ontarien a été déclaré coupable d'agression sexuelle pour avoir introduit un godemiché dans l'anus de sa conjointe pendant qu'elle était inconsciente.

Il va de soi qu'une personne inconsciente ne peut pas consentir à une relation sexuelle. Une relation sans consentement est une agression sexuelle.

D'accord.

Mais il faut voir pourquoi elle était inconsciente. Elle avait accepté une «strangulation érotique» au terme de laquelle elle avait perdu connaissance. D'après elle, pendant «moins de trois minutes».

Quand elle est revenue à elle, elle avait les poings liés, un godemiché dans l'anus. Qu'a-t-elle fait après cette surprise? Elle a eu une relation sexuelle avec l'accusé, son conjoint de longue date.

Les faits se sont déroulés le 22 mai 2007. Elle n'a porté plainte que le 11 juillet. L'homme a été arrêté et accusé non seulement d'agression sexuelle, mais aussi de voies de fait graves.

Il n'est pas rare que des victimes attendent, parfois des années, pour porter plainte. Mais dans ce cas-ci, la victime dit que ce qui l'a motivée à porter plainte est le fait que son conjoint l'ait menacée de demander la garde exclusive de leur enfant de 2 ans.

Un contexte somme toute assez répandu de fausses dénonciations, donc: une séparation et une querelle pour la garde des enfants. De quoi être particulièrement méfiant.

La femme s'est d'ailleurs rétractée... pour ensuite maintenir l'accusation.

Était-elle consentante à l'asphyxie? Oui. Elle avait d'ailleurs déjà joué à ce jeu dangereux quelques fois avec l'accusé.

Était-elle consentante aux relations sexuelles après son réveil? Tout à fait.

Mais pas à ce qui s'était passé pendant qu'elle était inconsciente, d'après l'accusation. La preuve semble plutôt indiquer le contraire: elle savait ce qui s'en venait.

Elle a affirmé au procès que jamais elle n'avait pratiqué ce genre de relation anale avec un pénis en plastique. Mais elle avait dit le contraire à l'enquête préliminaire... Et a dû reconnaître son «erreur».

Malgré tout, la juge du procès n'a pas eu de doute raisonnable et a déclaré l'accusé coupable d'agression sexuelle. Elle l'a toutefois acquitté de toutes les autres accusations cependant, car la plaignante n'avait subi aucune blessure.

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La Cour d'appel de l'Ontario a acquitté l'homme, à deux juges contre un. La poursuite a interjeté appel. Et voilà que la Cour suprême rétablit la condamnation.

Le jugement, rendu à six juges contre trois, est signé par la juge en chef, Beverley McLachlin. On note que les quatre femmes de la Cour, aux horizons idéologiques plutôt éloignés, ont appuyé la condamnation. Les dissidents étaient trois hommes, les juges Morris Fish, Ian Binnie et Louis LeBel.

À mon avis, ce jugement ne tient pas la route et devient franchement troublant quand on voit que la plaignante était motivée par une histoire de garde d'enfant.

La question, écrit avec raison le juge Fish, n'est pas de savoir si l'on peut consentir «pendant» une période d'inconscience. C'est évidemment impossible.

La vraie question est plutôt: une personne consciente peut-elle consentir à l'avance à une activité sexuelle qui aura lieu pendant une brève période d'inconscience - inconscience librement consentie?

Et à cela, les juges minoritaires répondent oui. Mais la Cour dit non. Il deviendrait trop difficile et douteux de deviner l'étendue d'un consentement pendant une période d'inconscience, dit la majorité. Pourtant, le contexte est toujours une indication, comme dans n'importe quelle cause. Et selon les circonstances, l'accusation serait retenue ou non.

Il n'y a pas eu de débat ici sur la légalité de l'asphyxie érotique, soit dit en passant. On tient pour acquis que cet acte était légal et légalement accepté.

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Les changements du droit depuis 40 ans ont visé à protéger les femmes - et toutes les personnes, en fait - contre les sévices commis par d'autres, écrit le juge Fish. L'idée n'était pas de les protéger «contre elles-mêmes» et de restreindre leur autonomie sexuelle. On les prive par ce jugement de la liberté de s'engager dans des activités sexuelles «ne leur causant, et ne causant à qui que ce soit, aucun préjudice démontré».

Aura-t-il un impact majeur sur le droit? Probablement pas. Il ne fera qu'ajouter une couche de malentendu supplémentaire à la définition d'agression sexuelle, et un argument de plus à ceux qui s'en servent comme d'une arme judiciaire de vengeance conjugale.

Tout cela au nom de la clarté des définitions et du «non veut dire non» (le problème, c'est qu'elle a dit oui).

Dans un contexte aussi nébuleux, je m'étonne qu'on ait pu juger la preuve de la culpabilité «hors de tout doute raisonnable».

Mais ce ne sera pas la première fois que, en matière de crime sexuel, la définition de ce qui est raisonnable devient soudainement mouvante...