Quelle bonne idée de tenir une assemblée publique du Plateau-Mont-Royal dans une église. Magnifique décor qui sied parfaitement pour étaler la ferveur antibagnole du maire le plus spectaculaire en ville.

(Ça fait drôle de parler du maire le plus spectaculaire en ville, mais Montréal a cette chance unique d'avoir plus de maires qu'il y a de conseillers municipaux dans toute la ville de Detroit.)

Luc Ferrandez est à la république du Plateau ce que Régis Labeaume est à Québec. Un héros politique qui professe le parler-vrai, l'action sans compromis ni tataouinage, et qui se fout totalement des critiques - il les porte même fièrement à la boutonnière.

Il applique sans broncher son programme. Un programme clairement exposé aux dernières élections. Il a toute la légitimité morale et politique avec lui. Et malgré les cris et les insultes, il ne varie pas.

L'homme a un Plan: changer les comportements humains.

Il y a trop d'autos à Montréal, et en particulier trop d'autos qui circulent dans le Plateau.

Il s'emploie donc à déployer habilement tous les emmerdements légalement à sa disposition. Le dernier en lice est le «revirement» d'un bout de l'avenue Christophe-Colomb.

Cette petite mesure de rien du tout déplace des milliers de voitures non pas vers les grandes artères, mais vers la petite rue Chambord, ou ailleurs.

Comme ça arrive en même temps que la mise en place de deux pistes cyclables sur l'avenue Laurier, et la transformation d'une partie de cette rue en sens unique vers l'est, eh bien... ça hurle.

J'ai dit: deux pistes cyclables. En fait, c'est une seule piste séparée en deux. Cette séparation très rusée élimine une voie d'automobiles sur Laurier et accroît elle aussi la congestion.

N'est-ce pas absolument ingénieux?

Ceux qui ont eu la chance de traverser le Plateau cet hiver ont également constaté combien la neige, si elle est judicieusement empilée, peut devenir un allié précieux dans la lutte contre l'automobile.

Le maire dit et répète pourtant que ce n'est que temporaire. Les chantiers locaux rendent le problème pire qu'il n'est en réalité.

Mais surtout: les gens vont finir par s'adapter, dit-il.

Si l'être humain a survécu jusqu'ici, c'est grâce à sa capacité d'adaptation. Les gens finiront par se diriger vers les grandes artères, n'est-ce pas?

Eh bien, pas forcément.

* * *

Le premier problème de cette théorie, c'est que la nouvelle tranquillité de l'avenue Christophe-Colomb est payée en attendant par la cohue de la rue Chambord.

Le deuxième, c'est que des gens du Plateau... ont aussi une voiture. On n'aurait pas cru, je sais.

Ce qu'on impose aux «étrangers» s'applique malheureusement sans distinction de résidence.

Troisièmement, dans une grande ville, on ne peut pas laisser à un «maire» dans un coin de la ville décider seul comment s'organisera le transport.

Cité hier dans La Presse, l'ingénieur Ottavio Galella, spécialiste en trafic urbain, notait que les problèmes doivent être gérés avant que les gens arrivent dans le Plateau. Jusqu'ici, peu de gens se dirigent vers Papineau ou Saint-Denis. Ce à quoi le maire Ferrandez répond qu'ils y viendront. Acte de foi admirable et courageux, mais fondé sur quoi?

Ce que M. Ferrandez ne mesure pas, c'est l'impact invisible de ces mesures. Parmi ce qui définit le Plateau, il y a ses commerces.

Si je vais chercher les meilleures saucisses en ville à la Queue de cochon, et que ça me prend une demi-heure de trafic artificiel au terme duquel je n'arrive pas à me garer... Je risque de passer mon tour la prochaine fois.

Je ne suis qu'un vulgaire 450, alors ce sera un bon débarras. Mais déjà, des commerçants me disent que des clients montréalais furieux leur annoncent qu'ils ne viendront plus.

On ne verra pas de vagues de faillite d'un seul coup. Mais rendez l'accès aux restaurants un peu trop difficile et ils s'en ressentiront.

La tranquillité de quartier est un objectif louable, mais s'il n'est pas bien géré, il aura des effets pervers considérables... sur la vie de quartier.

Mais c'est vrai: tout ça était clairement annoncé dès le départ par Projet Montréal. «Si vous n'êtes pas contents, vous savez quoi faire au bout de quatre ans», a dit le maire à ses opposants.

Je suis loin d'être convaincu que les électeurs le congédieront. En voilà un qui est parfaitement cohérent.

Cohérent dans une ville rendue incohérente... par ses fusions.