Colonisé et fier de l'être...

Voulez-vous bien me dire en quoi l'appellation «royale» donne une plus-value à notre marine?

En quoi est-ce plus «respectueux» pour les pilotes canadiens morts au combat dans des guerres justes de relier à nouveau nos forces aériennes à un souverain étranger?

En 1968, quand le gouvernement libéral a fusionné les trois armées au sein des forces armées canadiennes, il a aboli l'Aviation royale du Canada et la Marine royale.

En réintroduisant le nom de ces divisions, le gouvernement conservateur entend renouer avec une tradition glorieuse et honorer les héros passés. Il donne aussi raison aux anciens combattants qui n'ont jamais digéré que leur armée soit débaptisée. Ni, on les comprend, de voir habiller des marins en vert sous prétexte d'uniformisation...

Un changement purement symbolique accueilli avec enthousiasme par l'équipe éditoriale du Globe and Mail, mardi. Voilà qui revigorera la fierté des troupes, peut-on lire.

Quelle drôle d'idée. Quel drôle de pays, où l'on peut prétendre que les militaires d'aujourd'hui tirent une fierté plus grande à se battre en tant que troupes coloniales...

Ce n'est pourtant faire injure à aucun militaire mort ou vivant que d'appeler une armée nationale du nom de son pays.

Mais comme on l'a vu lors de la visite «royale» du nouveau couple, une proportion consternante de Canadiens (surtout hors Québec) continue de vouer à la monarchie britannique une dévotion coloniale.

Il fallait entendre la couverture «live» mur à mur de la CBC et les commentaires délirants d'enthousiasme des experts en royauté pendant cette interminable semaine. On nous annonçait une véritable restauration de l'institution, même au Québec, disait l'un d'eux.

Oh yeah?

RDI n'était qu'un cran plus haut en matière d'esprit critique, c'est-à-dire très bas.

On pouvait toujours prétendre qu'il s'agissait moins d'une célébration de la monarchie que de l'accueil enthousiaste fait à deux vedettes internationales ayant des liens historiques avec le Canada. Et puis, l'été est long, faut bien remplir les ondes, ça fait de belles images rassembleuses, pas vrai?

C'est un peu plus politique que ça, apparemment.

Juste avant l'arrivée du couple princier, le ministre des Affaires étrangères a fait enlever des tableaux d'Alfred Pellan dans le hall du ministère à Ottawa, pour les remplacer par des portraits de la reine Élisabeth II.

«Le Mur de la souveraine est un hommage digne de notre chef d'État, la reine Élisabeth II, en reconnaissance à l'approche de son jubilé de diamant, en 2012», a expliqué son porte-parole.

La ligue monarchiste du Canada (ça existe) s'est réjouie de ce geste qui affirme «que la reine est réellement celle qui personnifie le gouvernement canadien».

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On comprend les liens complexes et profonds qui unissent les Britanniques à la monarchie - la leur. On comprend aussi les défis constitutionnels qui entourent la création d'une vraie république canadienne.

Mais qu'au moins, on n'en rajoute pas, qu'on ne nous propulse pas dans le passé!

Deux cent trente-cinq ans après la Révolution américaine, l'adhésion béate, ici, à une référence monarchique étrangère a quelque chose de pathétique.

Quel pays adulte se réjouirait d'avoir une étrangère comme chef d'État?

Par un bizarre détour psychologique et historique, la monarchie est pour plusieurs une composante du nationalisme canadien, justement. Un des éléments distinctifs du pays. Les plus loyaux à la Couronne britannique n'ont-ils pas quitté les États-Unis pour venir s'installer ici?

Comme par hasard, d'ailleurs, le jubilé de diamant de la Reine (60 ans de règne), l'an prochain, tombe la même année que le bicentenaire de la fameuse Guerre de 1812. Lors de ce conflit, les Américains ont envahi le Canada (et occupé Toronto), croyant avoir l'appui des Canadiens contre la Grande-Bretagne. Ça ne s'est pas produit et on donne souvent à cet événement la valeur d'une sorte de fondation d'un sentiment national «canadien». Le gouvernement Harper entend bien fêter ce bicentenaire, tout comme le jubilé de la Reine.

Cela semble parfaitement cohérent historiquement parlant. Mais la célébration de la fondation de l'identité canadienne ne devrait pas aller de pair avec la célébration d'une reine d'outre-mer qui dirige ce pays, fut-ce uniquement sur papier.

Faire venir la Constitution canadienne à Ottawa n'a apparemment pas suffi à décoloniser les esprits.

La nouvelle mise en valeur, au Canada, des symboles monarchiques renforce moins la «fierté» que la médiocrité nationale. L'idée que ce pays n'a pas totalement accouché de lui-même.