Il se passe une drôle de chose dans le monde du sport. Des sportifs professionnels n'ont plus peur de remettre en question la violence ou les dangers inutiles qu'on fait courir aux athlètes au nom du spectacle.

Il n'y a plus seulement des parents, des médecins et quelques chercheurs illuminés qui dénoncent la culture de la violence et les commotions cérébrales.

Des joueurs de football retraités de la NFL poursuivent leur ligue, prétendant qu'elle leur a caché les risques documentés qu'elle leur faisait courir pour leur santé.

D'anciens joueurs de hockey, comme Stéphane Quintal, sont maintenant contre les bagarres et se demandent quelles séquelles ils garderont de leurs batailles passées.

L'Association des joueurs invite ses membres à se faire évaluer par des neurologues.

Ian Laperrière des Flyers, qui ne joue plus depuis un an à cause d'une commotion, se dit convaincu que des dizaines de joueurs tough se gèlent régulièrement aux antidouleurs pour tolérer des blessures qui devraient les empêcher de jouer... et leur faire risquer de perdre leur emploi.

Il fait un lien avec la mort, depuis un an, de quatre «justiciers» de la LNH, dont deux par suicide et un par surdose de médicaments et d'alcool.

Il y a quatre ou cinq ans seulement, la remise en question des bagarres et des mises en échec était carrément irrecevable dans le milieu du hockey.

Hier, pendant la dernière émission matinale de CKAC Sports, j'ai entendu avec joie l'animateur Michel Langevin avouer candidement qu'il avait complètement changé d'avis sur le sujet depuis deux ans. Le voici opposé aux bagarres et très critique quant aux mises en échec.

Oui, vraiment, il se passe quelque chose d'étrange...

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Que se passe-t-il au juste? D'abord, dans une société obsédée par la sécurité, les risques de blessures graves nous préoccupent plus qu'il y a 50 ans, quand on conduisait sans ceinture.

Il y a aussi que la science médicale a évolué. Les conséquences à long terme des commotions cérébrales sont étudiées et mieux connues. On fait le lien avec des maladies neurologiques graves et la dépression.

Un coup à la tête n'est plus qu'un mauvais moment à passer ou une partie intégrante et inévitable d'un sport de contact. C'est désormais un fléau à enrayer.

Quand le meilleur joueur du monde (Sidney Crosby) risque de ne plus jouer, quand les poursuites menacent de pleuvoir, la partie n'est plus la même...

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Que ce soit pour les athlètes ou les parents, la question est toujours la même finalement: quel est le niveau de risque acceptable?

Et la réponse de plus en plus dominante est: pas mal moins que ça...

Il n'y a pas de sports sans blessures et les risques d'accident dans un sport aussi dynamique que le hockey sont élevés.

Mais pourquoi accepter les bagarres? Une mère me racontait encore l'an dernier l'histoire -banale!- d'un joueur talentueux arrivant dans le junior à 16 ou 17 ans. Il est trop jeune pour jouer parmi les premiers trios, alors on l'insère dans un trio «physique», ce qui le force à se bagarrer une fois de temps en temps. Il n'en a ni le goût ni le talent. Mais c'est ça ou la porte. Je ne vous parle pas des années 70. Ça fait encore partie de la vieille culture macho du hockey.

Sauf que de moins en moins de gens la cautionnent.

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Dans le hockey joué par la masse, les mises en échec sont interdites au Québec. Ce n'est permis que dans le «double lettre» (une élite très diluée).

À quoi sert la mise en échec? Au football, le plaqué met fin au jeu. On n'en sort pas. Mais au hockey, la mise en échec est censée viser le porteur de la rondelle et ne servir qu'à la lui enlever.

C'est évidemment faux. Elle sert à intimider l'adversaire, à lui faire mal. Ce qu'on appelle encore «compléter sa mise en échec» est une expression codée signifiant «étamper l'adversaire dans la bande». Lui faire mal. Et l'exemple vient du plus haut niveau professionnel.

Des ligues ont décidé de modifier l'équipement pour qu'il soit plus coussiné. C'est sympathique, rendre l'épaulette duveteuse. Mais le problème, c'est le gars à l'intérieur. Sa mentalité.

Dans la vie civile, on est censé être responsable des conséquences prévisibles de nos actes. Ce devrait être la même chose au hockey. Aucun geste susceptible de blesser un adversaire ne devrait être permis. C'est une règle relativement simple, de bon sens, facile à appliquer sur-le-champ ou après coup: les gestes qui peuvent blesser sont interdits.

On n'en est pas là, et à voir le conservatisme qui domine la Ligue nationale, ce n'est pas pour demain.

Mais ce n'est pas vrai que ça doit faire partie du sport.

Le hockey organisé n'a qu'un siècle. Ses règles ont changé selon les époques -les mises en échec n'ont pas toujours été permises. Il doit évoluer lui aussi pour magnifier ce qui en fait la beauté: la vitesse, la fluidité.

Pas seulement pour les rares qui en vivent -très bien- et en connaissent de mieux en mieux les périls.

Surtout pour les centaines de milliers de jeunes qui le pratiquent pour le pur plaisir. Ils n'ont pas à assumer des risques pour leur santé que rien ne justifie.

Rien de sportif, je veux dire.