Cet été, 30 des 125 circonscriptions de l'Assemblée nationale étaient hors la loi.

Soit parce qu'elles comptent trop d'électeurs. Soit parce qu'elles n'en comptent pas assez.

Le problème n'est pas nouveau. Mais il s'aggrave. Depuis deux semaines, il y en a maintenant 31.

Un électeur de Mascouche ou de Chambly vaut deux fois moins qu'un électeur de Gaspé ou de Matane.

Le Directeur général des élections dénonce la situation depuis des années; il a produit un rapport très convaincant sur le sujet il y a déjà trois ans.

Il propose l'abolition de trois circonscriptions dans l'est du Québec (Matane, Kamouraska et Gaspé) et la création de trois nouvelles en banlieue de Montréal. La majorité des autres circonscriptions seraient également redessinées.

Même si la loi, le bon sens et l'égalité du droit de vote l'exigent, le gouvernement libéral fait tout pour que ça n'arrive pas.

Le Parti québécois, d'où pleuvent ces jours-ci mille propositions de réformes démocratiques, dont quelques fantaisistes patentes, ne veut rien savoir non plus.

Ça faisait du bien de voir François Legault dire, en Gaspésie, qu'il est pour l'abolition de trois circonscriptions dans l'est du Québec. Ça ne lui coûte pas grand-chose, direz-vous, mais du moins ne s'est-il pas contenté de dire ça à Châteauguay, ou de noyer le poisson.

Il n'est pas question de «laisser tomber les régions». On peut sans doute compenser la difficulté de travailler dans d'immenses circonscriptions par des moyens accrus.

Mais «un homme, un vote», cela doit encore vouloir dire quelque chose!

Voyez les chiffres: le nombre moyen d'électeurs par circonscription est de 46 781. La loi interdit de s'écarter de cette moyenne par plus de 25% (en plus ou en moins), sauf dans le cas très particulier des Îles-de-la-Madeleine. On peut aussi écarter Ungava pour des raisons évidentes. Mais 12 circonscriptions de la couronne de Montréal ont plus de 60 000 électeurs, tandis que les trois de l'est du Québec en ont moins de 30 000.

Ce n'est pas juste pour les électeurs. Et ça crée une distorsion politique régionaliste.

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Pendant que les deux principaux partis à Québec se rient de la Loi électorale, la Cour d'appel a eu à se prononcer sur la constitutionnalité de notre système électoral.

Rien que ça!

Quatre citoyens soutenaient que le système uninominal à un tour permet tellement de distorsions qu'il viole le droit de vote et le droit à l'égalité des citoyens, garantis dans nos chartes.

Par exemple, deux fois dans l'histoire du Québec (en 1966 et en 1998) un parti a pris le pouvoir en obtenant une majorité de sièges mais moins de votes que son plus proche rival.

En outre, le système défavorise les tiers partis, sous-représentés ou souvent exclus du Parlement malgré un appui populaire considérable (comme le Parti vert au fédéral).

Un juge avait d'abord rejeté cette requête, qui soulève «une question essentiellement politique à l'égard de laquelle une cour de justice ne devrait pas intervenir».

Le scrutin proportionnel, qui rend les gouvernements moins stables, n'est pas sans problème non plus, car il donne parfois beaucoup de pouvoir à des partis extrémistes. Là où il est en vigueur, on tempère souvent ses effets en mettant un seuil électoral.

Quoi qu'il en soit, c'est au politique d'en décider, avait dit le juge Luc Lefebvre.

La Cour d'appel, mardi, a confirmé ce jugement. Les tribunaux n'ont pas à choisir un mode de scrutin, mais ils peuvent invalider une loi électorale si elle viole les droits fondamentaux. Dans ce cas-ci, en plus des distorsions générales, les quatre citoyens se plaignaient de discrimination envers les électeurs de la minorité anglophone du «West Island». Or, ils sont mieux représentés, toutes proportions gardées, que les citoyens des banlieues environnantes.

La Cour rappelle aussi que le critère n'est pas la parité absolue du droit de vote, mais la «représentation effective». Donc le droit d'être représenté avec une parité relative par rapport aux autres citoyens. Si le droit de vote est dilué «indûment», il en résulte la violation du droit démocratique de l'électeur.

Rien dans le système actuel ne permet de dire qu'on en est là, dit la Cour d'appel.

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D'accord pour ce qui est du «système». Mais avant de songer à refaire le système au complet, à y ajouter une «proportionnelle modérée» et des référendums plus ou moins populaires...

Avant de fendre en quatre les cheveux démocratiques pour lutter contre le désabusement des électeurs et atteindre l'extase citoyenne...

Pourrait-on simplement redonner leur plein droit de vote ordinaire aux centaines de milliers de gens qui ne l'ont qu'à moitié?