À la fin de son mandat, Stephen Harper aura probablement nommé la majorité des neuf juges de la Cour suprême.

Pour quelqu'un qui s'est jadis inquiété de «l'activisme judiciaire», l'occasion de changer le cours des choses est unique. Nommera-t-il des juges plus conservateurs? Tentera-t-il d'orienter le droit canadien - de le redresser, diraient certains?

Après tout, la Cour suprême a le dernier mot sur les grands débats juridiques et sociaux. On n'aurait pas vu, avant la Charte canadienne (1982), la Cour suprême ordonner au gouvernement d'accorder un permis pour maintenir une piquerie supervisée, comme c'est arrivé vendredi dans le dossier Insite.

En plus de juger de la validité des lois en dernière instance, les neuf sages rendent des décisions qui doivent être suivies par tous les tribunaux inférieurs. Ils jouissent donc d'un pouvoir colossal sur la société canadienne.

Aux États-Unis, la politisation de la Cour suprême a atteint un degré jamais vu auparavant. Chaque nomination est l'objet d'un débat idéologique féroce et les votes de confirmation par le Sénat sont de plus en plus partisans.

Ça ne s'est pas produit encore au Canada et quoi qu'on en dise, les nominations judiciaires conservatrices... n'ont pas été particulièrement conservatrices. Bien malin qui pourrait lire un projet idéologique clair dans les nominations à la Cour supérieure ou à la Cour d'appel jusqu'ici - généralement bien accueillies.

Les deux juges nommés par Stephen Harper à la Cour suprême (Cromwell et Rothstein, celui-ci ayant été sélectionné sous les libéraux) ont signé comme tous les autres le jugement unanime de vendredi, pour donner un exemple parmi mille.

Mais la partie a changé. Les conservateurs sont maintenant majoritaires.

C'est pourquoi les deux nominations imminentes de juges ontariens à la Cour suprême sont très attendues. Même chose pour celle du juge en chef de la Cour d'appel du Québec.

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Nominations attendues dans tous les sens du mot. Les juges Louise Charron et Ian Binnie ont annoncé leur retraite il y a quatre mois. Celle de la juge Charron prenait effet le 30 août; le juge Binnie attend son remplaçant. Il n'y a toujours personne à leur place.

Le juge en chef Michel Robert a également annoncé sa retraite de la Cour d'appel au printemps pour le 30 août... et son siège est vacant. La plus haute cour du Québec n'a pas de juge en chef depuis la rentrée judiciaire, une situation inédite et un peu ridicule, celui-ci étant le premier de la hiérarchie judiciaire québécoise.

Au mois d'août, la juge en chef Beverley McLachlin a déclaré que l'«horaire chargé de l'automne montre bien à quel point il est important que deux nouveaux juges soient nommés bien avant la reprise des audiences le 12 octobre».

Eh bien... huit jours avant cette date, rien ne permet de penser que ces juges seront choisis.

Un comité de sélection a été formé au mois d'août, comprenant trois députés conservateurs, un libéral (Irwin Cotler, ex-ministre de la Justice) et un néo-démocrate (Joe Comartin). Ils sont chargés de dresser une liste de six candidats pour les deux postes ontariens à la Cour suprême, afin que le ministre de la Justice, Rob Nicholson, et Stephen Harper puissent choisir.

Impossible de savoir officiellement si cette liste a été confectionnée. Il pourrait y avoir des nominations «d'ici un mois», fait-on savoir.

Une fois ces deux juges nommés, ils devront se soumettre à une séance d'interrogatoire parlementaire, comme ce fut le cas pour le juge Rothstein en 2006 (pour le juge Cromwell, vu l'urgence de la période électorale, on avait éliminé ce processus).

On est donc loin d'avoir deux juges «fonctionnels» ...

Le ministre Nicholson a déclaré à l'été vouloir «poursuivre la tradition d'excellence juridique et de qualité incontestable» de la Cour.

Avec un comité de sélection qui puisera probablement dans les tribunaux ontariens, je serais bien étonné qu'on assiste à un début de politisation à l'américaine.

Par ailleurs, d'ici trois ans, deux juges québécois devront prendre leur retraite (Fish, en 2013, et LeBel, en 2014). La juge Marie Deschamps pourrait demeurer encore plusieurs années, mais on s'attend à ce qu'elle prenne sa retraite dans les prochaines années. Ce sera autant d'occasions de tester la détermination du gouvernement de préserver la tradition...

En attendant, on constate moins un empressement idéologique qu'une lenteur qui ressemble à de l'indifférence ou du mépris.