Qui a dit qu'une preuve circonstancielle est toujours faible?

À lire les textes de ma collègue Christiane Desjardins, on se demande de quoi sera faite la défense de Mohammad Shafia, de sa femme Tooba Mohammad Yahya et de leur fils Hamed.

Les trois sont accusés d'avoir assassiné trois des filles du couple et la première femme de Mohammad Shafia.

Quand on a retrouvé les quatre corps dans une voiture, au fond des écluses de Kingston, les Shafia ont dit qu'il s'agissait sans doute d'un accident. Une des filles aura voulu conduire de nuit et la voiture sera tombée dans l'eau, cette nuit du 30 juin 2009...

Mais déjà, après une semaine de procès, les constatations des policiers et les expertises contredisent cette version.

Un plongeur de la police, qui a déjà remonté plus de 100 corps dans des voitures au fond de divers cours d'eau, a dit que cette scène ne ressemblait à aucune autre.

Une fenêtre de la voiture était grande ouverte. Aucune des quatre victimes n'était attachée. Comment se fait-il qu'elles n'aient pas tenté de fuir? Le toit de la voiture était à seulement un mètre de la surface de l'eau. Les coussins gonflables ne se sont pas déclenchés, signe d'une entrée douce dans l'eau. La clé du moteur n'était pas en position de marche. Les phares étaient éteints. Les sièges avant étaient baissés au point de rendre la conduite quasi impossible. Et c'est l'adolescente de 13 ans qui a été retrouvée le plus près du volant.

On sait déjà que l'autopsie n'est pas capable de conclure si les victimes étaient mortes avant de plonger dans l'eau.

Mais pour ce plongeur, cette scène ne ressemble vraiment pas à une scène d'accident. On observe souvent des signes de tentative de fuite. Pas cette fois.

On a retrouvé les morceaux du phare de la voiture du père près de là; un expert en collisions est formel: la voiture des victimes a été poussée par celle du père; les dommages aux voitures concordent.

Le matin même de l'événement, vers 8h, le fils a appelé la police dans le parking d'un marché à Montréal. Il venait d'abîmer le pare-chocs de la Lexus de son père en heurtant un parapet. Bizarre d'aller se frotter là, a pensé la policière: le parking était désert. Cela ressemble à un camouflage, avance maintenant la Couronne.

Déjà, on annonce des paroles compromettantes enregistrées à l'insu des Shafia dans leur voiture. Et un mobile très évident: le père avait conclu que ses filles avaient manqué au code d'honneur de la famille afghane, tel qu'il l'entend.

Il y a aussi cette hésitation entre le père et le fils, quand ils ont loué deux chambres de motel près des écluses. Seraient-ils six ou neuf? La famille compte 10 membres, qui revenaient des chutes du Niagara.

Il n'y a aucune preuve directe du crime. Aucun témoin ne viendra dire qu'il a assisté aux événements de cette nuit-là.

Mais une preuve indirecte, ou circonstancielle peut être tout aussi accablante, ou même plus convaincante.

L'addition des «circonstances» peut ne mener qu'à une conclusion logique.

À l'inverse, un témoin direct peut se révéler oublieux, ou malhonnête...

Quelle défense, donc?

On ne le sait pas. D'abord, les accusés ne sont jamais obligés de présenter une défense. Et s'ils en présentent une, ils ne sont pas obligés de témoigner.

Jusqu'ici, comme c'est presque toujours le cas, la défense n'a pas annoncé ses intentions.

La défense n'a pas besoin d'expliquer quoi que ce soit. Ni d'offrir une théorie unique et cohérente. Il lui suffit de jeter un doute raisonnable sur un des aspects essentiels de la preuve.

Par exemple, en contre-interrogatoire, la défense se demande pourquoi les accusés auraient choisi cet endroit des écluses pour pousser la voiture des victimes, quand il y a tant d'endroits plus faciles d'accès.

Et puis, si Shafia a menti sur le nombre de personnes dans les chambres, ce serait peut-être uniquement pour ne pas payer de supplément. Ce ne serait pas le premier à s'y essayer, a convenu l'homme du motel.

Et puis, si c'est bien un quadruple meurtre, comme l'avance la poursuite, qui a fait quoi? Quelle est la participation de chacun?

Les «circonstances» s'accumulent méthodiquement, elles sont de plus en plus troublantes, mais ce procès est encore bien jeune.