Pour contrer l'homophobie, certains suggèrent que les homosexuels aient une sorte de devoir de s'afficher publiquement.

Comme si la solution reposait essentiellement sur eux.

Depuis que Jamie Hubley, 15 ans, d'Ottawa, s'est suicidé la semaine dernière, plusieurs ont émis à peu près cette idée. Le jeune homme avait déclaré son homosexualité et a déclenché la haine à un degré insupportable.

Il n'y a pas assez de modèles, disent les partisans d'une sortie de placard massive. Tant que les homosexuels craindront de s'afficher publiquement, on restera dans une logique de honte/culpabilité.

Les gais et lesbiennes auraient donc une responsabilité envers les adolescents en particulier.

Faire connaître son homosexualité, c'est contribuer à la normalisation et c'est un antidote à l'homophobie.

On entend Dany Turcotte, qui s'est affiché à Tout le monde en parle en 2005, et Rick Mercer, hyperpopulaire humoriste canadien, tenir ce discours. Le collègue Lagacé disait samedi que ceux qui ne dévoilent pas leur homosexualité sont des «alliés involontaires» des homophobes.

Je ne suis pas d'accord.

Ça me semble un peu paradoxal de faire peser sur les homosexuels le poids de guérir les arriérés de leur homophobie.

J'admire le courage des artistes qui l'ont fait. Plus encore celui d'André Boisclair, car en politique, cela porte beaucoup plus à conséquence que dans l'Union des artistes.

Mais si je me souviens bien, Dany Turcotte s'est senti ni plus ni moins forcé de le faire après des clins d'oeil de Boisclair à Tout le monde en parle, et des appels pressants de journalistes.

Et quand il l'a fait, il était déjà un des chouchous du public québécois.

Tout comme Rick Mercer n'a pas commencé sa carrière avec un macaron de la fierté gaie. C'est le Globe and Mail qui l'a révélé en 2004. Ce n'était pas un secret chez les journalistes, sans pour autant être de notoriété publique.

Ça n'enlève rien à leur mérite. C'est très bien de l'avoir fait. Mais les risques pour eux étaient relativement mineurs. Ils étaient déjà bien installés dans leur carrière, passablement sûrs de l'affection du public.

Tant mieux si d'autres les imitent. Mais blâmer ceux qui ne le font pas? Comment le leur reprocher?

Il n'y a pas de devoir universel d'héroïsme.

Dans certains milieux, c'est à peu près ce que ça prendrait. Je pense au sport professionnel, où perdure l'homophobie. Je me souviens encore d'entendre la foule à Boston parodier le chant qu'on entend au Centre Bell (Olé, Olé, Olé): «You're gay, you're gay, you're gay...»

J'imagine que sur les

700 joueurs de hockey de la LNH, il doit bien y avoir un ou deux gais... On n'en voit aucun. Il n'y a qu'un paria comme Sean Avery pour défendre le principe - mais lui n'est pas gai.

J'imagine que s'il s'en trouve un pour vouloir s'afficher, son agent lui expliquera deux, trois réalités de la business...

Est-ce à eux qu'on veut faire porter le poids de la lutte contre l'homophobie ambiante de leur milieu?

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Plusieurs personnalités publiques ne sont pas «dans le placard» du seul fait qu'elles ne s'affichent pas. Leurs familles, leurs amis, leurs voisins le savent souvent.

Plusieurs en ont subi assez quand ils étaient plus jeunes, je ne vois pas au nom de quoi on pourrait exiger d'eux qu'ils soient des «modèles».

Les choses ont changé? Oui, les choses ont beaucoup changé. Les droits des homosexuels ont connu une progression phénoménale depuis 40 ans. L'acceptation sociale est incomparable.

Mais en même temps, bien des choses n'ont pas changé complètement. On ne gagne toujours pas de concours de popularité dans les écoles secondaires en étant suspecté d'homosexualité.

C'est justement pour ça qu'il faut demander aux adultes gais de se déclarer tels, nous dit-on.

Sauf que pour plein d'adultes aussi il y a un coût ou la crainte d'un coût à se déclarer gai. La vie n'est pas un grand Tout le monde en parle où l'on s'échange des câlins entre gens raisonnables.

Je me vois mal réclamer des autres l'obligation d'être un Martin Luther King de la machine à café.

Il existe un droit de ne pas sortir du placard, pour un million de raisons. Parce qu'on a peur. Parce qu'on ne l'a pas dit à sa famille. Parce qu'on n'a juste pas le goût d'être un symbole.

La lutte contre l'homophobie appartient autant aux hétéros.

Ne pas être un modèle, ne pas chercher à être admirable, cela ne vous ravale pas au rang de complice.