Imaginez une sorte de Régis Labeaume, mais... dynamique.

Voyez?

Non, vous ne voyez pas.

Arrivé discrètement un lundi matin, je pensais bien obtenir 20 ou 25 minutes avec le maire de Trois-Rivières, grâce aux bons offices de l'ancien président de La Presse Roger D. Landry, qui est son chef de cabinet.

Vingt minutes? Pour un peu, Yves Lévesque me séquestrait dans son sous-sol.

Ce lundi-là, grosse séance du conseil municipal. Il était question du projet d'amphithéâtre - ici aussi.

Le maire me reçoit dans son salon, après la séance.

Il a le teint rougeaud, la démarche rapide, la poignée de main ferme et entrepreneuriale.

La salle est immense, sofas et divans en cuir, peintures mauriciennes. Le chic provincial.

Ex-maire de Trois-Rivières-Ouest, c'est un ancien marin et commerçant. «Un des rares maires qui ne sont pas sortis du séminaire de Trois-Rivières.»

Cet homme sans passé trifluvien était bien placé pour inventer la nouvelle ville de 126 000 personnes, en 2002, en agglutinant six villes.

On lui donne généralement le mérite de l'espèce de renaissance de la deuxième ville parmi les plus vieilles du Québec.

«C'est un illusionniste, parce que ça ne va pas mieux à ce point-là, mais il a convaincu les gens d'être fiers», reconnaît une critique.

Après avoir été la capitale des pâtes et papiers, la ville a connu un lent déclin dans les années 70 et 80.

En 1990, la vague odeur de soufre et de résine flottait encore dans l'air, mais autour d'usines désaffectées et de commerces placardés.

Trois-Rivières-Ouest, Cap-de-la-Madeleine et Trois-Rivières étaient assez gros pour se concurrencer, mais trop petits pour s'imposer. On se poursuivait pour des bouts de route.

Si une fusion a été bénéfique au Québec, c'est celle de Trois-Rivières.

La population a recommencé à croître. Le chômage (8,5%) est au-dessus de la moyenne québécoise, mais on est loin des 15% d'antan. La population s'est remise à augmenter. La ville s'est requinquée.

«Il y a 10 ans, le stuc nous tombait sur la tête, dit le maire Lévesque en montrant le plafond. On a beau être pauvres, faut pas faire pauvre!»

L'homme de 54 ans m'explique la ville et la vie. Il s'agite. Se lève, gesticule, se rassoit, se relève, va chercher une immense carte qu'il déploie devant moi. Il est frénétique.

«Je suis quelqu'un d'intense et coloré», dit-il, au cas où on n'aurait pas remarqué.

«Il y a 10 ans, 37% des commerces étaient fermés, rue des Forges. C'est 5% maintenant. L'ancienne mentalité, c'était: on est pauvres, venez nous aider! Hey, quand c'est rendu qu'on patche les trottoirs avec de l'asphalte, on est aussi bien de fermer la ville. C'est au centre-ville que les touristes viennent. Il faut qu'il soit beau. Les commerçants voulaient qu'on répare les trottoirs. Je leur ai dit: arrangez votre façade, je vous fais des trottoirs.

«Moi, j'accepte tous les projets!» Des camions de sable pour un tournoi de volleyball de plage en ville? O.K.!

Un de ses premiers gestes fut d'aller porter personnellement un chèque de 10 000$ à un promoteur immobilier montréalais condamné pour une infraction réglementaire. «On va punir ceux qui viennent investir des millions chez nous?»

Le ton était donné.

Le style affairiste et impatient du maire Lévesque n'est pas du goût de tous. On l'a critiqué pour avoir payé un repas de 1300$ dans un restaurant de Montréal à un investisseur qui avait accepté de s'installer à Trois-Rivières. «Des scandales comme ça, je vous en promets d'autres!»

Une enquête a été déclenchée quand on a réalisé que des contraventions étaient réglées en douce à l'hôtel de ville. Aucune infraction n'a été constatée. «Quand un entrepreneur a une contravention parce qu'il a trop attendu dans ma salle d'attente; quand une vieille dame se trompe de numéro au parking et a une contravention, je n'ai pas honte d'aller expliquer ça au greffe.»

Il parle, il parle, il parle, le maire.

Il m'explique son grand projet de construction: Trois-Rivières sur Saint-Laurent.

C'est un immense espace au bord du fleuve, à l'embouchure de la rivière Saint-Maurice, autrefois industriel. La Vlle veut y construire des tours comprenant 900 condos. Non pas sur les rives, mais en retrait, pour en faire un petit quartier dense derrière cette grande promenade. Plus près de l'eau, on installera cet amphithéâtre de 50 millions, tout vitré, et à moitié à ciel ouvert pour des concerts d'été. «Le tourisme culturel et sportif, c'est l'avenir!» Un design ma foi assez réussi. Mais un coût qui le fait rejeter par la moitié de ses conseillers.

Tout à côté, un incubateur de biotechs, dont les laboratoires sont pleins. Les anciens quartiers ouvriers tout autour, «ça devient notre Plateau Mont-Royal».

Il est 23h et je n'ai pas soupé. «Aimes-tu la pizza?» L'exposé se poursuit chez Pizza 67. Et dans sa voiture, pour un tour de ville de nuit.

Même à minuit, la rue des Ursulines, avec son vieux couvent et son petit parc qui surplombe le fleuve, est un des plus beaux coins de ville du Québec. Un reste de Nouvelle-France. «On a fait enfouir les fils.»

Le mardi matin, il vient me chercher pour m'emmener à l'école secondaire des Estacades.

Jouxtant cette polyvalente de 1800 élèves, la Ville a érigé un centre sportif comme on en rêverait dans bien des universités québécoises: glace olympique, quatre tennis intérieurs, gymnases, dojos, salles de spinning, salles de physio... Et ce n'est pas fini.

Une collaboration unique entre une commission scolaire et une ville, qui profite aux élèves comme aux citoyens. Dans un coin qui n'aurait jamais eu de tels moyens sans les fusions.

Le maire m'attend pour le lunch, au Poivre noir, grand restaurant du centre-ville. «T'as payé la pizza, c'est moi qui paie le lunch.» Euh...

Il m'emmène ensuite à l'aéroport, pour me montrer les locaux de Premier Aviation, qu'il a convaincue de s'installer là.

Il me libère enfin. Je me défusionne tranquillement, étourdi.

On dira sûrement qu'il en fait trop, et trop vite, et qu'à sa tête. Mais il en fait.