Regardez les plus grandes villes du Québec 10 ans plus tard. Partout les fusions ont créé un élan. À Montréal, elles l'ont freiné.

Ça ressort assez clairement des reportages faits au cours des dernières semaines par les journalistes de Gesca, qui ont «échangé leurs maires» pour l'occasion.

Ce n'est pas par hasard si les fusions ont engendré des maires autoritaires et affairistes à Québec, Chicoutimi et Trois-Rivières. Dans ces trois villes, on a réuni politiquement un milieu artificiellement divisé, qui s'entredéchirait.

Comme par hasard, un «homme fort» s'est manifesté, d'autant plus fort qu'il était investi de nouveaux pouvoirs.

À Montréal, le tango des fusions-défusions a engendré une ville plus faible qu'avant les fusions, du moins plus compliquée. Et l'homme qu'il fallait.

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À Québec, Saguenay et Trois-Rivières, le maire s'attire des reproches parce qu'il en fait trop, ou trop seul.

À Montréal, Gérald Tremblay n'en fait jamais assez ou semble soumis à un dédale bureaucratique qui le tient dans l'inaction - et l'ignorance.

On le sait: Gérald-le-maudit-bon-gars-Tremblay a toujours eu peur de déplaire, ce qui n'est généralement pas un signe de leadership.

Mais les analyses psychologiques ont leurs limites. François Bourque, du Soleil, l'a suggéré: c'est précisément parce qu'il n'effrayait personne que Gérald Tremblay était le produit naturel et nécessaire des fusions bancales de l'île de Montréal.

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Ailleurs qu'à Montréal, les fusions ont donné assez clairement un nouvel élan au milieu. Une ambition retrouvée.

J'exclus Gatineau, qui jouit et souffre de son statut de moitié de capitale nationale, et qui voit pleuvoir l'argent fédéral, directement ou indirectement. Là-bas, on reproche au maire sa pâleur et son manque d'initiative. On n'est pas fâché, par contre, d'être une des seules villes où les taxes municipales sont maîtrisées (+12% en cinq ans).

Mais à Québec, Saguenay ou Trois-Rivières, l'opposition tourne beaucoup autour des mêmes thèmes: le maire est un impatient, le maire n'aime pas la démocratie et les débats, le maire décide tout seul, le maire dépense l'argent public sans compter...

Les fusions ont en effet produit là des maires qui se conçoivent comme des «développeurs».

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Encore cette semaine, je reçois des courriels de Trifluviens outrés par mon portrait du maire Yves Lévesque.

Le milieu communautaire et le milieu culturel ne l'ont pas en haute estime. Il en est conscient. Pour lui, la culture est un enjeu économique, pas un mode de vie.

Il répète sans cesse, comme pour se dédouaner, qu'il n'a pas fréquenté le séminaire, qu'il est «allé à l'école anglaise» (son père était militaire).

«J'ai pas un grand vocabulaire, et souvent je me trompe, m'a-t-il dit en riant. Je dis "inarchie" au lieu d'anarchie quand ça brasse au conseil... Ou je dis: j'entends vos condoléances, au lieu de doléances...»

Quand il a accepté un festival d'autos modifiées, que plusieurs villes avaient refusé, certains ont estimé que ça jurait un peu avec l'image de «capitale de la poésie». Mais pour lui, l'événement a attiré plein de jeunes «qu'on juge trop facilement» et c'est tout ce qui compte.

Il court après les investisseurs et en fait une fierté. Il n'a de cesse de parler de son projet de construction près du fleuve, dans d'anciens terrains industriels. Et... d'un amphithéâtre. Comme il coûtera 50 millions, même s'il est subventionné par Québec et Ottawa, on lui fait observer que l'impôt foncier augmente sans cesse: plus de 25% en cinq ans. Rusé, pour éviter les référendums sur les emprunts, il prend la part de la Ville pour son amphithéâtre à même les surplus du budget - que les opposants jugent artificiels.

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Les hausses de taxes sont une conséquence universelle des fusions: les salaires ont été égalisés vers le haut. Et les villes de banlieue qui payaient moins cher sont soumises à un rattrapage fiscal.

Et un peu partout, on voit également la bureaucratie municipale gonfler: après une baisse de près de 10% du nombre d'employés, Trois-Rivières (en incluant les six villes fusionnées) se retrouve avec 20% plus d'employés qu'il y a 10 ans.

Le maire vous dira qu'il faut investir pour accueillir. Et c'est sur ce pari de développement que se fonde toute son action - comme celle de Régis Labeaume.

Ne comptez pas sur un journaliste de Montréal débarqué pendant 36 heures pour rendre un verdict éclairé sur le maire de Trois-Rivières. Je vois bien les restes de division qui agitent le conseil municipal. Je vois bien les travers de ce maire dont on se demande s'il agit ou s'il s'agite.

Je sais une chose, par contre, qui est visible à l'oeil nu: cette ville est plus belle qu'au cours des 30 précédentes années. Elle a cessé de mourir à petit feu. Elle a même l'air de s'aimer. Les fusions ne sont pas totalement étrangères à cela.

On peut faire ce genre de parallèle avec Chicoutimi (je n'arrive pas à dire Saguenay). Et évidemment Québec. Ces villes ont meilleure mine, meilleur moral aussi. Et quand ils seront tannés de leurs maires, qu'ils en changent.

Tandis qu'ici, avec ou sans le trrrrès sympathique Gérald Tremblay, on sera encore pris avec ces divisions administratives ridicules. À Montréal, les fusions-défusions ont freiné l'élan. Et tout ce qui s'y fait de bien s'y fait malgré elles.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca