S'il y a une leçon à tirer de 2011, c'est que la corruption peut faire sauter des régimes, dit Huguette Labelle, présidente du conseil de Transparency International.

L'index annuel de «perception de la corruption», qui classe 183 pays depuis bientôt 20 ans, a été publié hier soir à Berlin.

Encore une fois, les pays scandinaves y font très bonne figure, ceux d'Afrique en arrachent et la Russie se classe à un catastrophique 143e rang.

Est-ce donc dans la culture nationale? Mme Labelle refuse ces généralisations.

Cette ancienne sous-ministre fédérale, ex-présidente de l'ACDI et chancelière de l'Université d'Ottawa préside Transparency International depuis six ans. Elle m'a accordé hier une entrevue téléphonique d'Ottawa.

La corruption est dans tous les pays, mais aucun ne l'a «dans son ADN», dit-elle.

La Finlande, qui se classe généralement tout en haut, a eu des problèmes après un scandale impliquant Nokia, note-t-elle; la Norvège, également très bien classée, a mis sur pied une brigade contre les crimes économiques et a découvert des pratiques qu'elle ne soupçonnait pas. Les pays totalitaires comme la Russie et la Chine exposent plus ouvertement leur corruption, mais elle y est depuis toujours.

À l'inverse, l'arrivée d'un nouveau gouvernement qui renforce les institutions et le système de justice peut renverser la vapeur. C'est ainsi que le Chili (22e) est passé devant la France (25e) et les États-Unis (24es).

Le Canada est passé du sixième au dixième rang cette année.

Est-ce à cause des scandales dans la construction au Québec?

Impossible de faire ce genre de déduction, dit Mme Labelle. D'abord, le pointage n'a pas beaucoup varié: 8,9 sur 10 en 2010, contre 8,7 cette année. Ensuite, la note est attribuée par la combinaison d'une série de sondages auprès d'experts (gens d'affaires, des universités, des gouvernements, des médias, étrangers). On les interroge par exemple sur la propension des fonctionnaires, des policiers, des gens d'affaires à offrir des pots-de-vin ou en accepter.

Quand, au plus fort de la commission Gomery, on a vu le Canada passer du 6e au 14e rang, on pouvait y voir un lien direct. Mais pas maintenant.

Pense-t-elle que le problème de la corruption est pire au Québec qu'ailleurs au Canada? Les variations régionales ne sont pas prises en compte, dit-elle. «Le Québec fait face à un cas très important et espérons que c'est en train d'être revu pour en prévenir la répétition, mais demain on peut se réveiller avec un scandale ailleurs au Canada; il faut donc faire très attention.»

Déjà dénoncés par un rapport de Transparency International, les pays arabes touchés par les révolutions du printemps ont généralement une note de moins de 4 (seulement 51 pays sur 183 ont obtenu 5 sur 10 ou plus).

«Le Printemps arabe avait plusieurs causes, mais ces pays avaient un dénominateur commun: la corruption.» Une corruption connue de tous, témoins révoltés de l'opulence des dirigeants.

Mais les pays occidentaux aussi sont touchés par une crise de confiance devant l'évasion fiscale et diverses formes de corruption.

«Les pays qui ne se donnent pas les moyens de lutter contre la corruption sont assis sur des bâtons de dynamite. Ils risquent de sauter.»

L'organisme, financé par une dizaine de pays et quelques fondations privées, reconnaît qu'on ne peut pas mesurer précisément la corruption, phénomène secret par définition.

Mais les témoignages qui se recoupent de gens qui connaissent bien les pratiques d'un pays finissent par faire un portrait assez juste.

«On n'est pas étonné de voir le Congo là (154e, 2,2 sur 10), quand on sait le blanchiment qui s'y pratique dans le secteur minier, le trafic d'armes, etc.»

On est étonné d'apprendre, par contre, que le président du Togo (143e) a envoyé au printemps une équipe à Berlin pour apprendre des gens de TI et améliorer son score!

Quel est donc le remède, Mme Labelle? Voici quelques pistes.

La «transparence absolue» dans les dépenses gouvernementales: faciles d'accès et compréhensibles. Un État de droit qui fonctionne. Des enquêteurs bien financés qui sont «aussi sophistiqués que ceux qu'ils poursuivent»; des institutions judiciaires bien dotées, indépendantes et compétentes. La lutte contre l'impunité. Des médias indépendants, responsables et justes. Une commission électorale solide. De l'éducation.

Y a-t-il plus de corruption maintenant qu'avant? Rien ne permet de l'affirmer.

L'information circule plus vite que jamais. Mais les criminels peuvent faire circuler leur argent partout dans le monde. «Je vois comme un signe encourageant les déclarations du G20 sur les paradis fiscaux», dit-elle.

Les 10 premiers de classe cette année sont: la Nouvelle-Zélande (9,5 sur 10), le Danemark (9,4), la Finlande (9,4), la Suède (9,3), Singapour (9,2), la Norvège (9), les Pays-Bas (8,9), l'Australie (8,8), la Suisse (8,8) et le Canada (8,7).

La Chine est 75e (3,8) et on n'a pas pu dire lequel, de la Corée du Nord ou de la Somalie, est le pire: ils finissent ex aequo au 182e rang, avec 1 sur 10.

On ne s'attend pas à ce qu'ils délèguent une équipe à Berlin sous peu...

Les pays en tête du classement de Tranparency International

1. Nouvelle-Zélande

2. Danemark

3. Finlande

4. Suède

5. Singapour

6. Norvège

7. Pays-Bas

8. Australie

9. Suisse

10. Canada