Notre chroniqueur revient sur les questions soulevées par la mort du sans-abri Farshad Mohammadi, tué par les policiers du Service de police de Montréal au métro Bonaventure vendredi dernier. Il signe aujourd'hui le premier d'une série de trois textes.

Vendredi, les policiers de Montréal ont tué un homme dans le métro.

On sait qu'un policier venait d'être blessé par l'homme en question, Farshad Mohammadi, qui tenait un exacto. On sait qu'il avait des problèmes psychiatriques sérieux.

On sait que trois coups de feu ont été tirés et qu'on a atteint «le haut du corps».

Mais pour le reste, on ne sait à peu près rien.

Ça n'empêche pas toute une série d'experts en technique policière de se relayer dans les médias pour nous expliquer que les policiers ont bien agi.

Qu'en savent-ils? Comment l'ont-ils su?

J'aimerais avoir la formidable assurance de ces experts, quand on ne sait même pas dans quel angle et à quelle distance les coups de feu ont été tirés, la séquence des événements, la gravité des blessures du policier, etc.

Mardi dans La Presse, un ex-policier, Michel Ostiguy, a affirmé lui aussi que la mort triste de Farshad Mohammadi n'était pas le fruit d'une bavure policière, mais de l'exercice légitime de la force.

Il a même inventé un nouveau concept, la «force excessive justifiée».

Un concept révolutionnaire à mort!

Comment, en effet, la force mortelle pourrait-elle être à la fois «excessive» et «justifiée» ?

Les policiers sont autorisés par la loi à utiliser la force, quand c'est 1) nécessaire, 2) raisonnable et 3) proportionnel à la menace.

Tout le problème de l'utilisation de la force par les policiers est posé par ces trois critères. Si on ne répond pas positivement aux trois, la force est excessive et potentiellement criminelle.

Si, au contraire, les trois critères sont remplis, les policiers étaient dans leur droit. Dans leur devoir en fait: ils protégeaient une vie humaine, la leur ou celle d'un passant du métro.

C'est donc soit l'un, soit l'autre: excessif. Ou justifié.

On conçoit tous qu'un policier menacé de mort par un homme qui fonce dessus avec un exacto a le droit de se défendre. Mais comment exactement cela s'est-il passé?

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Encore une fois, on n'a pas les moyens de le savoir, surtout que, dans ce cas-ci, les témoins sont rares.

Les faits font maintenant l'objet d'une enquête. Et au terme de cette enquête, un rapport sera remis à un procureur, pour analyse. Statistiquement parlant, il conclura probablement qu'il n'y a pas lieu de déposer une accusation criminelle.

Et alors?

Alors, rien. On se contentera au mieux d'un communiqué au contenu minimaliste.

Le premier problème des enquêtes, indépendantes ou pas, c'est l'opacité qui les entoure. On demande au public de faire un acte de foi envers les enquêteurs, puis envers le jugement du procureur qui analysera le dossier.

Dossier qui ne sera jamais rendu public si, comme c'est le cas presque tout le temps, aucune accusation criminelle n'est déposée.

L'absence presque systématique d'accusation criminelle ne prouve pas qu'il y ait complaisance. Quand la SQ a enquêté sur l'affaire Barnabé, en 1994, six policiers ont été accusés - quatre condamnés pour avoir abusé de leur force. Cas aussi rare que traumatisant pour la police de Montréal.

C'est le secret des dossiers fermés, ce secret à mort, qui laisse planer le doute. Et comme ils le sont presque tous, le doute est partout.

Il se peut très bien qu'une opération policière mortelle soit critiquable sans être «criminelle».

Mais dans l'état actuel des choses, l'absence d'information ne nous permet même pas de remettre en question l'action des policiers.

* * *

Le projet de loi 46, du ministre Robert Dutil, laisse le système essentiellement intact: une enquête «indépendante» d'un corps de police différent chaque fois qu'une personne meurt ou est blessée par un policier. Mais il ajoute un Bureau de surveillance civile, dirigé par un avocat d'expérience ou un juge retraité.

Les critiques lui ont reproché de refuser la création d'une «police des polices», spécialisée dans ces enquêtes.

Le ministre répond que le système sera mieux surveillé, que le bureau pourra faire annuler une enquête et la faire recommencer si des anomalies sont décelées. On a hâte de voir ça.

En attendant, on observe que ce système, s'il sera plus «surveillé», ne sera pas plus transparent. Le bureau fera ses rapports sur l'intégrité des enquêtes. Il répondra au ministre.

Mais les rapports d'enquête ne seront pas plus accessibles au public.

C'est le premier problème de ce système. Un homme meurt sous les balles de la police et on nous demande de croire que tout est normal. Les faits sont en option.

Il faudrait au contraire que ce système présume que ça ne l'est pas. Et qu'il se sente obligé de justifier clairement, publiquement, cette exception mortelle.