Êtes-vous plus Shafia ou Turcotte, question jury?                

Inutile de répondre, merci, les dizaines de courriels et les commentaires ne laissent pas tellement place au doute, même déraisonnable. Tout le monde est content du verdict de dimanche. Tout le monde est fâché du verdict de l'été dernier.

On jurerait qu'il n'y a eu que deux affaires criminelles au Canada depuis le début de ce millénaire. Turcotte. Shafia. Et, depuis deux jours, on n'a de cesse de comparer ces deux affaires.

Les uns vantent les mérites des jurés ontariens, les autres lancent une autre ronde de blâmes contre ceux de l'affaire Turcotte. D'autres encore y vont de considérations sociologiques sur les qualités et défauts des jurés, province contre province. D'autres, enfin, un peu tout ça.

Puis-je humblement dire... wôôô!

Voilà deux causes qui n'ont rien, mais rien à voir. Il s'agit de parents qui ont tué leurs enfants et qui ont été jugés par un jury mais, au-delà de l'horreur des faits, les causes n'ont rien en commun.

Dans le cas Turcotte, les faits étaient admis. La défense portait sur l'état mental de l'accusé. Dans le cas Shafia, les homicides étaient contestés.

Au Québec ou au Nunavut, les Shafia auraient été condamnés, tant la preuve était accablante: les conversations, la situation des lieux, le mobile, les marques sur les voitures, les déplacements, la préparation. La preuve contre les Shafia est extrêmement forte et ne mène à aucune autre conclusion raisonnable, toute «circonstancielle» qu'elle soit.

***

Pourquoi Guy Turcotte a-t-il été déclaré non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux (on disait naguère acquitté pour folie)?

Ça demeure fort étonnant puisque, d'ordinaire, ce type de défense ne réussit qu'avec des gens qui ont complètement perdu le contact avec la réalité, des gens aux idées délirantes, des schizophrènes en crise, diagnostiqués, qui ont souvent un passé psychiatrique.

Et encore. En septembre, un jeune homme qui avait égorgé un sans-abri sans aucun motif et qui a été diagnostiqué schizophrène a néanmoins été déclaré coupable de meurtre par un jury. Tout comme Francis Proulx, l'assassin de Nancy Michaud, qui travaillait pour le ministre Claude Béchard: malgré des troubles diagnostiqués depuis longtemps, il a été déclaré coupable.

Pourquoi, donc, Guy Turcotte a-t-il réussi à convaincre le jury? Il faudrait interroger les 11 jurés. Voici mon hypothèse en quelques points.

1 - La performance médiocre de l'expert de la Couronne comparativement à ceux de la défense.

2 - La qualité exceptionnelle des avocats de la défense.

3 - Le fait que l'accusé était médecin (l'idée qu'un homme aussi «bon» ne peut pas faire ça en étant normal).

4 - Le témoignage pathétique de l'accusé.

5 - Le fait que le juge ait très lourdement averti les candidats jurés de l'extrême difficulté du procès, faisant ainsi involontairement une présélection de jurés plus cérébraux que la moyenne.

***

Quoi qu'il en soit, les jurés du Québec ne sont pas plus «acquitteurs» que ceux de l'Ontario. On a recensé 39 procès pour meurtre en 2009-1010 au Québec. Il en a résulté 29 déclarations de culpabilité, aucun acquittement, 7 retraits (ce qui couvre toutes sortes de situations, y compris des condamnations moindres) et 3 «autres» (possiblement non-responsabilité pour troubles mentaux).

Pendant la même période, en Ontario, 99 causes de meurtre ont donné lieu à 20 déclarations de culpabilité, 5 acquittements, 72 retraits et 2 «autres».

Le taux de condamnation dans les affaires criminelles en général est même plus élevé au Québec (notamment parce que les causes sont filtrées par un procureur avant que des accusations soient portées).

***

Depuis son invention en Angleterre en 1843 (Daniel M'Naghten, qui avait assassiné un homme qu'il croyait être le premier ministre de Grande-Bretagne, avait été acquitté pour folie), la défense de folie soulève des controverses furieuses.

Quand John Hinckley, qui avait tiré sur le président Ronald Reagan, a été acquitté en 1982 pour la même raison, les pressions ont été telles qu'on a changé la loi américaine.

Le fait est, pourtant, que cette défense est rarement utilisée avec succès. Songeons que le tueur en série américain David Berkowitz, le «fils de Sam», qui disait recevoir des ordres du chien de son voisin, a été jugé sain d'esprit.

***

Comparer ces deux verdicts revient à tirer des conclusions sur la supériorité du transport aérien en Ontario après avoir pris un avion à temps à Toronto et un autre en retard à Montréal.

Non pas que les verdicts rendus par un jury soient toujours les meilleurs, ou même les bons. Mais ils sont généralement le résultat logique et rationnel de ce qui s'est passé dans la salle d'audience. C'est-à-dire de la preuve, qu'ils voient mieux que quiconque. Et de la façon dont on la leur présente.

Le reste, c'est de la littérature.