Belle ironie. Tandis que le sénateur Boisvenu s'interroge tout haut sur les mérites de la peine de mort, les Américains la remettent en question comme jamais depuis 40 ans.

Mais cette fois, ce n'est pas sous l'angle moral que le débat se situe.

Même des gens qui sont pour la peine capitale en principe veulent y mettre fin. Pour trois raisons principales: la multiplication des erreurs judiciaires confirmées, l'application incohérente de la peine, et ses coûts exorbitants.

Eh oui! monsieur le sénateur, il en coûte plus cher à l'État d'entretenir un système de peine capitale qu'un système de peines d'emprisonnement à perpétuité.

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Le nombre d'exécutions diminue aux États-Unis: 43 l'an dernier, comparativement à 85 en 2000. Le nombre de personnes condamnées à mort a aussi atteint un plancher. Alors qu'on condamnait quelque 300 personnes à mort dans les années 1990, il y en a eu 78 en 2011.

La peine de mort est encore en vigueur dans 34 des 50 États. Mais l'Illinois vient de voter son abolition. L'Oregon a décrété un moratoire. Neuf États devraient connaître un débat législatif sur la question.

Et un des facteurs les plus souvent cités par les politiciens est celui des coûts au moment où les déficits publics sont à peine soutenables.

La juge en chef de la Cour suprême de Californie, nommée par les républicains, disait il y a quelques semaines à peine que le système était totalement dysfonctionnel.

- Êtes-vous pour ou contre? , lui ont demandé les journalistes.

- Je suis pour dans la mesure où c'est la loi, a-t-elle dit, mais ce n'est plus dans ces termes-là que la question doit être posée: c'est l'efficacité et les coûts qui sont en cause.

Or, à ces deux chapitres-là, la peine de mort ne fonctionne pas.

Les nombreux recours et toute la quincaillerie de la peine de mort rendent le système très coûteux (on l'évalue à 114 millions annuellement en Californie). Au moment où les tribunaux de Californie se font demander de retrancher 200 millions de dollars de leur budget, ça devient un enjeu.

L'ancien procureur général de l'Ohio, Jim Petro, qui est un de ceux qui ont fait la promotion de la peine de mort dans cet État dans les années 70, concède que ses deux arguments principaux sont invalidés par des décennies de pratique: ça ne coûte pas moins cher et ça ne dissuade pas les criminels.

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En 1972, la Cour suprême américaine a déclaré la peine de mort inconstitutionnelle, vu la manière arbitraire et discriminatoire avec laquelle on l'appliquait. C'était loin d'être toujours les crimes les plus graves qui étaient punis par la peine capitale. Et comme par hasard, les criminels noirs ayant des Blancs comme victimes étaient systématiquement plus condamnés à mort.

En 1976, les États avaient adopté des réformes pour rendre l'application de la peine plus rigoureuse et la Cour suprême a autorisé le retour au travail des bourreaux. Dans les 35 ans écoulés depuis, 1279 personnes ont été exécutées.

Mais plus les années passent et plus on découvre des erreurs judiciaires. Seulement avec les tests d'ADN, 17 personnes condamnées à mort ont été innocentées depuis 1989 (et 272 autres prisonniers condamnés pour des crimes graves). En tout, par divers moyens, 140 personnes déclarées coupables de crimes horribles ont été innocentées.

C'est ce qui a mené à des moratoires et des abolitions dans certains États.

C'est aussi ce qui explique un appui plus bas que jamais dans les sondages: 61% des Américains se disent en faveur et 35% contre. Mais quand on leur demande s'ils préfèrent l'emprisonnement à vie sans libération conditionnelle ou la peine de mort, alors l'appui à la peine de mort chute à 48% (50% disent préférer la prison à vie).

Et de nouvelles études montrent que ce qui rendait la peine de mort inacceptable en 1972 se produit encore : les crimes les plus graves ne sont pas forcément ceux qui entraînent la peine de mort; les accusés, presque toujours pauvres, sont souvent mal défendus; les décisions sont discriminatoires. D'où l'évolution des sondages et des condamnations.

Bref, les abolitionnistes ont le vent dans les voiles comme jamais depuis le retour de la peine de mort aux États-Unis, y compris chez ceux qui étaient de chauds partisans et qui en ont vu les résultats dans cet immense laboratoire social...

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Stephen Harper n'entend pas rouvrir le débat sur la question; celui-ci est donc théorique au Canada.

Mais à ceux qui voudraient le faire changer d'idée, il n'est pas inutile de rappeler nos propres erreurs judiciaires «pour les crimes les plus graves». Et les résultats de l'expérience américaine.

Et si ce n'est pas assez, on peut mentionner que la Cour suprême du Canada a conclu à l'unanimité en 2001 que la peine de mort est inconstitutionnelle.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca