Georges-Hébert Germain a voulu faire le portrait d'un «homme bien» et sans doute Robert Bourassa l'était-il.

Mais son livre, lui, l'est beaucoup moins. Passons sur les erreurs, même si elles sont sérieuses (René Lévesque n'a jamais été chef de l'opposition, surtout pas en 1987, année où il est mort). Le livre n'en contient pas tant que ça.

Le problème principal vient de ce que cet «homme bien» manque d'épaisseur, dans ce portrait trop indulgent. On sait que c'est la fondation de la famille Bourassa qui a payé l'auteur. C'est un embarras, même s'il dit ne pas avoir écrit une biographie, ou fait oeuvre de journalisme.

On a beau inventer un nouveau genre littéraire (le «portrait de proximité»), un livre de 400 pages qui raconte chronologiquement la vie d'un homme politique, cela ressemble sacrément à une biographie.

La défense de «non-journalisme» est aussi assez agaçante. Est-ce une manière de se dédouaner des règles d'équilibre, de contre-vérification, de citation des sources? L'ouvrage en est à peu près absent.

Mauvaise idée, dès lors, de s'attaquer à Jean-François Lisée, qui lui a fait un travail de documentation gigantesque.

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Lisée lui-même est un cas, pour ainsi dire. Il navigue avec une aisance étourdissante entre l'université, le commentaire politique, le conseil péquiste, l'édition et le journalisme.

Songez qu'il a écrit 1294 pages en deux livres sur deux ans et demi d'histoire politique du Québec - Le tricheur puis Le naufrageur, en 1994.

Lisée aussi a inventé un genre littéraire, le thriller constitutionnel. Il n'y a qu'au Québec des années 90 qu'on pouvait se délecter de si longs récits de coulisse autour d'un accord juridique et d'un référendum qui n'a pas eu lieu.

Le portrait que dresse Lisée de Robert Bourassa est sans pitié, méprisant, à la limite de la hargne.

Pas très chic, non plus, pour Jean-François Lisée, de se précipiter chez l'éditeur, puis un autre, pour republier son livre afin de contrecarrer celui de Germain. Manigance sur fond de vanité.

Sauf que dans les ouvrages de Lisée, tout est documenté et fondé sur des entrevues de fond avec un éventail énorme de témoins, qui sont cités. Mauvaise idée pour Georges-Hébert d'aller traiter cela de «fiction», comme il l'a fait dans une entrevue au Devoir.

Lisée a écrit ce qu'en anglais on appelle unfair comment, c'est-à-dire un commentaire dur, diffamatoire même, mais qui peut être légitimement soutenu par les faits tels qu'établis. C'est une vision possible de Robert Bourassa: un politicien calculateur jusqu'au cynisme, sans réelles convictions, ou pire encore, les ayant abandonnées pour la pure jouissance du pouvoir.

Ce n'était pas non plus une biographie, il s'en faut de beaucoup, même si Lisée en esquissait les grandes lignes dans un chapitre bien fouillé. On y trouve d'ailleurs l'anecdote que raconte Germain sur la première rencontre entre Bourassa et Pierre Elliott Trudeau: aux élections de 1956, Bourassa, jeune avocat et étudiant en économie, est appelé à remplacer un candidat libéral dans un débat contre le ministre unioniste Paul Sauvé; Sauvé et Bourassa s'entendent pour exclure le troisième participant au débat, un candidat du CCF (futur NPD)... Trudeau. Celui-ci, furieux, les dénoncera dans le Devoir ensuite.

Lisée et Germain s'entendent également sur ceci: le fait que Robert Bourassa ait marié la fille d'un des plus riches industriels de l'époque, Édouard Simard, l'a sûrement aidé à se faire un chemin en politique. Mais il aurait réussi sans cela: premier de classe partout où il est passé, dévoré par la politique, ambitieux, il y serait parvenu néanmoins.

Autre constat commun: Bourassa était un faux mou. Les deux montrent un jeune premier ministre beaucoup plus ferme qu'on a pu le dire pendant la crise d'Octobre 1970.

Mais ici, Georges-Hébert Germain n'approfondit pas son portrait. Il reconnaissait hier soir à Tout le monde en parle que Bourassa avait vu sur la liste des prisonniers (politiques) le nom du poète Gérald Godin. Il n'a rien fait pour le libérer. «Ce n'était pas le chef de police», a dit l'auteur. Certes, mais de Gaulle, quand il a été question d'emprisonner Jean-Paul Sartre au Printemps 1968, avait fait savoir qu'on «n'emprisonne pas Voltaire».

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Si la vraie biographie de Bourassa reste à faire, le livre de Georges-Hébert Germain n'est pas sans qualités pour autant. Il retrace dans un style plaisant un destin politique exceptionnel, celui d'un homme secret, d'une envergure intellectuelle qui ne peut que nous rendre nostalgique.

Il a aussi le mérite de plaider qu'il n'y a pas de rupture (de compromission, dirait Lisée) dans la pensée politique de Bourassa: nationaliste, social-démocrate convaincu, obsédé de développement et de sécurité économique.

C'est le même homme qui refuse de suivre René Lévesque «rêveur» vers la souveraineté-association en 1968, qui démarre la Baie James en 1971 et qui rejette la souveraineté en 1991... en faisant semblant d'y être ouvert.

Eh oui, il faisait de la politique...

Et puis, Germain a aussi l'avantage de montrer assez bien et avec sensibilité ceci de Robert Bourassa qui n'est nulle part dans les livres de Lisée: de l'humanité.