Au lieu de se lancer dans une inutile guerre constitutionnelle, la GRC doit s'arranger pour collaborer avec la commission Charbonneau.

Pas parce que la Commission sera «paralysée» par son refus. Il y a bien d'autres pistes à suivre pour enquêter sur la corruption et la collusion.

Parce que l'intérêt public commande cette collaboration, tout simplement.

Dans son enquête antimafia Colisée, la police fédérale a amassé plusieurs informations sur les liens entre le crime organisé et l'industrie de la construction. Ce n'est pas banal de voir le constructeur Frank Catania attablé avec Nick Rizzuto quand il compte l'argent de ses «affaires». Ça ne rend M. Catania coupable d'aucun crime. Mais ça indique une relation d'amitié et de confiance qui soulève des questions légitimes.

Ce n'est qu'un des exemples connus de ce que contient cette enquête gigantesque.

Sauf que tout ce qui touchait les entreprises légitimes ou de simples relations n'était pas directement pertinent à l'enquête, qui portait sur le trafic de drogue et le blanchiment. Les policiers ont donc laissé tout ça de côté. C'est néanmoins (peut-être) quelque part dans l'écoute, dans la filature, dans les perquisitions. Et ça permettrait (peut-être) de trouver des filons précieux.

Le succès d'une commission d'enquête tient parfois à peu de choses. Un ou deux témoins qui se mettent à table, et qui en entraînent d'autres...

Il serait absurde, donc, que cette mine d'informations dorme dans les chambres fortes de la GRC pendant que la Commission travaille.

Même si elle a d'autres pistes, ce qu'il y a dans Colisée pourrait changer le visage de la Commission.

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Pourquoi alors la GRC refuse-t-elle de fournir les fruits de Colisée?

D'abord pour des raisons de principe. La police fédérale ne reconnaît pas l'autorité d'une commission provinciale de lui ordonner de produire des documents. Ce serait un pouvoir uniquement réservé à une commission fédérale.

C'est très contestable. Certes, la Cour suprême a empêché le commissaire Jean Keable d'enquêter sur la GRC en 1978. Mais il ne s'agit pas ici, en 2012, d'une enquête sur les agissements de la police. Et la Cour suprême reconnaissait qu'une commission provinciale pouvait enquêter sur des policiers fédéraux.

Pourquoi alors ne pourrait-on pas simplement obtenir des documents produits par ces policiers?

Ce n'est pas aussi simple. On devine qu'un corps de police n'envoie pas par FedEx le résultat d'une enquête de cinq ans, l'une des plus importantes de son histoire. Il y a des sources à protéger, des informateurs, des techniques et divers renseignements.

Il y a aussi un débat à prévoir sur l'utilisation de l'écoute électronique. En Ontario, dans le cadre d'une enquête du barreau sur un avocat, on a réussi à forcer la GRC à fournir cette écoute. Et la Commission a de bons arguments pour prétendre faire la même chose.

Elle a aussi une équipe constituée largement de procureurs de la Couronne, comme Claude Chartrand, qui a dirigé l'équipe du crime organisé à Montréal. Donc des gens habitués à gérer des secrets et à protéger des informateurs.

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Si cette question est envisagée sous l'angle juridique, on n'en sortira pas.

On aura un magnifique jugement de la Cour suprême dans cinq ans, quand la Commission aura remis son rapport. Un rapport probablement moins bon qu'il pourrait l'être par la faute de la GRC.

Les conceptions rigides du fédéralisme qui permettraient de refuser un ordre d'intérêt public sous prétexte qu'il émane d'une commission «provinciale» sont dépassées. Et surtout nuisibles.

Il faut trouver une autre manière, intelligente, de protéger ce qui doit l'être dans cette enquête, et d'en fournir la substance aux enquêteurs de la Commission.

D'après moi, la GRC en a l'obligation juridique. Mais, bien plus important, la police fédérale a l'obligation morale de trouver cette manière de collaborer avec la commission d'enquête, la plus importante qu'on ait connue depuis une génération au Québec.